S.C.H.E.C., Sessions d’étude, 50 (1983),
255-279
Le sentiment religieux en Nouvelle-France
au XVIIe siècle
Dans l’histoire des missions du XVIIe siècle,
trois ou quatre contrées semblent avoir été particulièrement fécondes en fruits
de sainteté, sinon en résultats spectaculaires: le Japon, le Tonkin, le Canada,
les Guaranis 1. Mais ce n’est pas sous l’aspect missionnaire que
nous avons à envisager ici le cas de la Nouvelle-France, puisqu’un atelier est
consacré à l’Histoire des missions, mais sous l’angle de l’histoire de la
spiritualité. Le titre choisi pour cette communication est commode en ce qu’il
se réfère à l’ouvrage d’Henri Bremond, mais il prête aussi à confusion – outre
son relent moderniste et anti-dogmatique –, car, dans le cas de la
Nouvelle-France, son expression n’est pas seulement littéraire.
Le Canada a
souvent fait peur aux Français de France; on menaçait les petits enfants de les
y envoyer, afin d’obtenir de leur part un peu de sagesse; mais les âmes
généreuses s’y sentaient attirées en grand nombre, comme en un lieu d’héroïsme
et de sainteté, et son influence a été hors de proportion avec l’importance
réelle de la mission, car, en réalité, les ouvriers apostoliques ont été
limités en nombre; le plus petit diocèse de France, l’évêché le plus crotté,
avait un clergé infiniment plus nombreux et un réseau de monastères autrement
fourni.
Ce qui fait
du Canada une réalité à part, une réalisation exceptionnelle de la Réforme
catholique française, c’est la qualité spirituelle des hommes et des femmes qui
se sont consacrés à la mission. L’historien de la spiritualité se doit d’en
prendre acte, même s’il ne souscrit pas à la présentation des origines, telle
qu’elle sest élaborée au cours du XIXe siècle, sur le mode à la fois
épique et mythique. On reste confondu devant la densité des personnalités
exceptionnelles – dans l’ordre de la sainteté – qui ont oeuvré en
Nouvelle-France au cours des premières générations. Le nombre des canonisés et
béatifiés n’est pas, à lui seul, un critère absolu: car la procédure favorise
les martyrs et l’Église canadienne, aujourd’hui numériquement importante, a
beaucoup travaillé pour faire avancer ses causes; mais le Canada des origines
compte à lui seul un bon quart ou un tiers même des saints et bienheureux de
l’Église de France au XVIIe siècle. Il y a actuellement vingt saints
français déjà canonisés pour ce siècle: huit ont vécu au Canada; il y a treize
béatifiés dont deux ont vécu au Canada, auxquels il faut ajouter Kateri qui
n’est pas française évidemment; parmi les vingt-deux causes de béatification
actuellement en cours à Rome, deux appartiennent au Canada et deux autres lui
sont étroitement liées (Marie de la Ferre et Jérôme Le Royer de la
Dauversière). Bien entendu, la sainteté ne se limite pas à celle que l’Église a
sanctionnée à la suite d’un procès ou que l’on voudrait faire reconnaître par
elle; c’est cependant une indication positive qu’il serait vain de prétendre
remplacer. L’historien, quelle que soit son appartenance, ne peut qu’en être
impressionné; ce n’est pas là l’effet d’une simple coïncidence. Le nombre des
causes introduites en Cour de Rome pour l’Espagne est sensiblement plus élevé
que pour la France, et l’Italie est encore plus favorisée numériquement, avec
une admirable constance jusqu’au milieu du XVIIIe siècle: mais le
rapport mission-métropole, pour utiliser des termes plus modernes,
favorise certainement le Canada et en fait, sous cet angle particulier, une
contrée exceptionnelle 2.
La sainteté
canadienne reflète évidemment celle du pays qui lui a envoyé ses missionnaires,
et le cadre spirituel en est extraordinairement varié 3; le
bloc formé par les martyrs jésuites présente sans doute une unité beaucoup plus
cohérente à l’intérieur du groupe des saints de la Nouvelle-France, mais par
ailleurs on retrouve au Canada toutes sortes d’influences qui se croisent et se
mêlent, bien que tous, sans exception, aient bénéficié plus ou moins des mêmes
méthodes de formation spirituelle, celle des Exercices de saint Ignace.
On lit par
exemple dans les Constitutions et Règlements des Premières Ursulines de Québec,
de 1647:
Tant que faire ce poura, comme a esté dit ailleurs,
les exercices spirituels se fairont une fois tous les ans par toutes les
religieuses de la maison, en sorte qu’ils puissent estre faits devant la fin de
l’octave de la Pentecoste, afin qu’en viron ce temps on puisse faire la
solemnelle renovation des voeux. Ces exercices se prendront ordinairement de
ceux qui ont esté composées par saint Ignace, fondateur de la Compagnie de
Jésus, ou par quelqu’un de ses religieux, à qui il a pieu à Dieu en communiquer
le 1er esprit. 4
Rien d’étonnant à cela, les Exercices qui ont été la matrice de la
Compagnie de Jésus, ont été en même temps un instrument d’une grande efficacité
pour la réforme de l’Église, et sont devenus en quelques décennies un bien
commun à tous; on ne saurait compter le nombre des hommes et des femmes, des
religieux et religieuses qui ont été remis par eux sur le chemin de leur
vocation ou qui lui ont dû leur fidélité 5.
Mais les Exercices de saint Ignace sont essentiellement un livre
fonctionnel, décrivant et prescrivant une certaine manière de procéder, et
proposant dans un ordre déterminé la progression d’une expérience spirituelle;
c’est un ouvrage vivant, sans cesse soumis à des relectures et à des
adaptations, afin de l’intégrer au contexte culturel d’une époque; le livre a
été interprété différemment, sans pour autant être trahi. Rien de plus
révélateur, à cet égard, qu’un des manuscrits conservé par les Ursulines de
Québec, un recueil de Retraites, constitué probablement en 1650. On y trouve
six éléments, tous inspirés et dérivés des Exercices de saint Ignace, et
utilisés par les religieuses pour leurs temps de récollection: les huit jours
avant la vêture, les exercices pour la profession ou pour sa rénovation, les
retraites annuelles; le 6e élément propose un abrégé des Exercices
de saint Ignace en trois journées et neuf méditations 6.
On peut y voir, semble-t-il, une oeuvre collective dont une
partie serait du Père Jérôme Lalemant, une autre, peut-être, de Mère Marie de
Saint-Joseph, une autre enfin du, Père Ragueneau; dont un recueil écrit au
Canada, pour des religieuses canadiennes, dans la grande lignée des Exercices.
Les deux autres courants majeurs
s’originent à saint François de Sales d’une part, à Bérulle, via Condren et M.
Olier de l’autre; il ne faut pas négliger non plus l’influence très réelle de
Bernières, moins importante que les précédentes, mais profonde également, et
celle de saint Pierre Fourier, limitée, elle, à Marguerite Bourgeoys et à son groupe
de filles, où elle ne joue pas isolément, mais en conjonction avec celle de M.
Olier. On a donc ainsi cinq sources majeures qui rendent compte de la
spiritualité vécue en Nouvelle-France au XVIIe siècle, mais chacune
d’elles ne se laisse pas isoler et a déjà conflué avec d’autres avant
d’atteindre la mission du Canada. Le cas de Marie de l’Incarnation se situe à
part, du fait de sa richesse et de son originalité propres, et nul ne saurait
nier qu’elle ait exercé elle-même une influence profonde, non seulement sur
les Ursulines de Québec, mais aussi sur les missionnaires eux-mêmes et sur les
laïques qui l’ont beaucoup consultée.
Mise à part Marie de l’Incarnation, et à un
moindre titre Catherine de Saint-Augustin, on ne peut parler à propos de la Nouvelle-France
d’une floraison mystique, d’autant que les plus fondamentales des expériences
de Marie de l’Incarnation se situent à une époque antérieure à son arrivée à
Québec (1639); mais le Canada doit beaucoup aux mystiques, et nombre d’entre
eux n’y sont jamais venus: Le Royer de la Dauversière, Olier, Marie Rousseau,
Jean de Bernières, Gaston de Renty.
Certains historiens sont portés à négliger
systématiquement leur importance; ce n’est pas de bonne méthode. Même si l’on
se refuse à les considérer autrement que comme des croyants exaltés qui
prennent leurs phantasmes pour des manifestations divines et agissent en conséquence,
leur action doit être expliquée par leurs «inspirations», sous peine de ne pas
être comprise; l’expérience mystique rentre ainsi par ce biais dans la matière
historique, à titre de cause, et de cause d’une efficience tout à fait
exceptionnelle en l’espèce.
En fait, pour nous, le mystique est un
chrétien qui entend agir sous la motion de Dieu plutôt que de sa propre
initiative et qui, dans ce but, se veut sans cesse attentif aux signes par
lesquels se manifeste à lui cette volonté divine. Mais il n’est pas dépourvu de
critique et nécessairement victime de ses illusions; il a appris à se défier de
ses propres lumières, de son moi, de sa volonté, de ses désirs inavoués, de ses
attraits, de son tempérament. Le mystique s’est soumis lui-même à une ascèse
exigeante qui l’a libéré de lui-même et de ses propres rêves, et il se fait
toujours contrôler soigneusement par un «directeur» qui n’a aucun intérêt à se
mettre à la remorque d’illusions, et est parfois tenté d’excès de sévérité et
d’incrédulité systématique.
Une illumination intérieure, – qu'elle se
présente sous forme de vision, de révélation, de songe même –, est souvent à
l’origine de ce que le mystique réalise; mais elle est auparavant contrôlée par
un tiers indépendant, soumise à un examen impitoyable destiné à éliminer tout
ce qui serait illusion; les conseillers spirituels ne prennent au sérieux une
illumination que si le bénéficiaire a fourni la preuve répétée de son
authentique sainteté, par une vie pleinement conforme à l’idéal évangélique, et
donc exempte de compromissions avec l’égoïsme et l’orgueil, sources habituelles
des illusions 7.
Sans doute, ce schéma est-il trop parfait
pour avoir toujours été réalisé; un directeur prévenu en faveur de la mystique
peut être un juge insuffisant, et l’on peut penser que le Père Ragueneau, par
exemple, a péché parfois par excès de crédulité; mais le contrôle est
habituellement très sérieux.
Le jugement d’une mystique, Marie de
l’Incarnation, sur une autre mystique, Catherine de Saint-Augustin, montre
clairement sur quels critères on opère le discernement, et avec quelle sévérité
ont été passées au crible les «illuminations spirituelles»;
De vous dire mon
sentiment sur des matières si extraordinaires, je ne le puis, et je vous
supplie de m’en dispenser, voyant que des personnes de science et de vertu y
suspendent leur jugement et demeure dans le doute, n’osant se fier à des
visions extraordinaires de cette qualité. Le Père Ragueneau y est savant et la
tient pour bienheureuse, parce qu’elle a toujours été fidèle dans ses devoirs
et qu’elle n'a jamais cédé au démon sur lequel elle a toujours été victorieuse.
J’estime que cette fidélité dans ses obligations et dans ses combats la rendent
grande dans le ciel et je m’y appuie plus volontiers que sur les visions que
j’en entends dire. 8
Les sciences relevant de la psychologie ont
fait des progrès depuis le XVIIe siècle, mais celles que l’on
possédait alors, jointes au discernement spirituel qui les transcende, ont été
mises en oeuvre avec le plus grand scrupule dans la plupart des cas. On ne peut
arguer, en tout cas, d’un manque d’esprit critique.
Le groupe des martyrs canadiens et plusieurs de leurs frères
jésuites sont redevables: en partie de leur formation spirituelle au Père Louis
Lallemant; le Père Paul Le Jeune a fait son troisième an sous sa direction;
d’autres ont été ses novices, tels le Père Antoine Daniel et le Père Isaac Jogues; le
Père Jean de Brébeuf semble l’avoir eu comme directeur spirituel. Les disciples
les plus proches du Père Louis Lallemant ont été également en relation étroite
avec les «Canadiens»; le Père Garnier a bien connu le Père Rigoleuc; le Père
Chastelain a été frère de noviciat des Pères Huby et Maunoir, de sorte que les
échanges ont été profonds et permanents 9.
Bremond n’hésitait pas à faire entrer Louis Lallemant dans le
groupe des Jésuites mystiques, au même titre le Père Surin, le Père Guilloré et
le Père Saint-Jure, ce dernier ayant été en relation très intime avec le groupe
des fondateurs de Montréal. Dans l’Histoire littéraire du sentiment
religieux, en effet, il a cru discerner deux Écoles à l’intérieur de la
Compagnie de Jésus en France, l’une officielle ou quasi-officielle qui donne la
préférence à l’ascèse; l’autre, en marge, demandant à l’effort personnel un
seul exercice, mais très exigeant, «la garde du coeur», dont le but est de
supprimer les obstacles humains à l’action divine 10; tandis que le Père Aloys
Pottier, dans les trois volumes de son Essai de théologie mystique comparée sur
le Père Louis Lallemant et ses disciples soutenait qu’il n'y avait entre les
spirituels jésuites du XVIIe siècle que des «nuances insignifiantes»
11. En fait, le Père Louis
Lallemant n’est connu qu’à travers des notes d’auditeurs; son mysticisme est
au confluent de nombreuses influences: celle du Père Balthazar Alvarez
certainement, à l’intérieur de la tradition ignatienne; celle de sainteThérèse,
et peut-être celle de Benoît de Canfeld qui a marqué presque toute la
génération de Bérulle; il a subi fortement l’influence des rhéno-flamand,
certainement à travers Harphius. En ce qui lui revient certainement, il a
insisté sur l’abandon à la direction intérieure de l’Esprit-Saint, premier
guide de l’âme, et sur l’importance de la contemplation. Il ne reprend aucun
des thèmes centraux de Bérulle, contrairement à ce que pensait Bremond; mais il
est exact que son mysticisme a inquiété le Père Général; le Père Mutius
Vitelleschi lui reprochait dans une lettre du 9 avril 1629 d’être «tout
mystique et de vouloir conduire tout le monde à une dévotion extraordinaire»;
et l’on a mis un terme à son mandat d’instructeur du troisième an; mais son
influence demeura grande dans la Compagnie 12; le bérullisme que
l’on relève dans la tradition issue de lui vient de ses disciples, tant les
formules de Bérulle étaient devenues d’usage commun parmi les spirituels.
Le Jésuite de la mission canadienne le plus
marquant par la mystique semble le Père Isaac Jogues; il y était prédisposé par
sa grande sensibilité: ses grâces mystiques prennent la forme de rêves
prémonitoires; il y a chez lui, avec l’héroïsme, quelque chose de profondément
humain qui le rend très proche de tous: son affection, ses appréhensions;
quand il va de la gloire de Dieu, il fait litière de ses craintes; il apaise
l’affolement de son coeur et il fait montre d’une extraordinaire force d'âme:
«Je serai heureux si Notre Seigneur voulait achever le sacrifice où il l’a
commencé et que ce peu de sang que j’ai répandu en cette terre fût comme les
arrhes de celui que je lui donnerai de toutes les veines de mon corps et de mon
coeur» 13
Le Père de Brébeuf est aussi un mystique,
mais plus serein, plus optimiste; son âme plane au-dessus des troubles, des
causes d’inquiétude et d’anxiété, pourtant si nombreuses; il ignore
l’impatience et la colère, comme s’il était déjà affranchi des passions
communes, et la joie de la Résurrection se manifeste déjà dans les souffrances
de la vie quotidienne; il vit dans la confiance et dans la joie; mais
au-dessous, l’on devine les tentations de saint Antoine, qui l’ont plongé dans
une humilité profonde; il est convaincu de sa nullité, malgré ses dons
exceptionnels, il se croit inapte à la tâche à laquelle Dieu l’a appelé; toute
son application et son désir sont de disparaître, et la nostalgie du paradis
le travaille: «Je sens en moi une grande aversion de toutes les choses créées
qu’il faudra quitter à la mort» 14
En mai 1630, il a promis de servir et a
scellé dans son sang la cédule; puis il a fait le voeu de ne pas se dérober au
martyre en 1637 et a prononcé le voeu du plus parfait en 1645.
Un premier temps de son expérience mystique
a été marqué par des visions démoniaques, incitant à l’infidélité et à
l’apostasie; puis après 1640, celles-ci ont fait place à des visions de lumière
et de gloire à travers la souffrance: la Croix, la Vierge des Douleurs, la
Crucifié lépreux lui donnant de partager son fardeau.
Saint Charles Garnier connaît sainte
Lidwine dont il parle à son frère dans une lettre du 30 avril 1637 15; il sait la
dignité de l’état de victime pour les pécheurs 16; il laisse
cependant peu deviner à travers ses écrits l’aspect contemplatif de sa vie
spirituelle et son chemin semble avoir été assez sombre. Il avait grande
confiance en Marie de l’Incarnation. Saint-Gabriel Lallemant, lui, avait
sollicité la grâce d’être envoyé en mission malgré son peu de santé, afin d’y
souffrir, dit-il au Christ, «pour le salut des âmes que vous estimez vôtres,
qui ont coûté votre sang, que vous avez aimées jusqu’à la mort... ».
Le désir si vif de la mission s’est évanoui
en arrivant en NouvelleFrance pour le Père Noël Chabanel; tout lui est devenu
extrêmement pénible et il a eu la tentation continuelle de demander son rappel
en France jusqu’à ce qu’il ait prononcé en 1647 le voeu de stabilité dans les
missions.
Mais il n’y a pas que les martyrs chez les
Jésuites, et tous en avaient plus ou moins le désir. Le Père Paul Le Jeune
s’est laissé désigner pour la Nouvelle-France, sans rien demander, mais il
était prêt à tout ce que Dieu voulait de lui: «Ecce me, me voilà tout
entier entre les mains (de mon provincial) et pour le Canada, et pour la
France, et pour tout le monde ad majorem Dei gloriam. Je me vois si
faible à tout, et Dieu si puissant pour tout, qu’il me semble qu’il n’y a plus
rien à désirer si à refuir» 17, libre et joyeux, disponible pour le service
de Dieu, comme Dieu voudra. En fin de la Relation de 1635, il a laissé
par écrit « Divers sentimens et Avis des Pères qui sont en la nouvelle France» 18. Marie de
l’Incarnation semble avoir médité ce texte dans lequel on trouve plusieurs des
expressions dont elle usera; l’un et l’autre se retrouvaient dans l’importance
donné au sang du Christ.
L’amour de la Nouvelle-France a été
l’inspiratrice de la vie du Père Massé, premier ouvrier de la mission en
Acadie, qui, selon Marie de l’Incarnation, a été «tout sainte»:
Si Jacob a servi
quatorze ans pour Rachel, à combien plus forte raison dois-je servir mon cher
Maître deux fois sept ans pour la Nouvelle France, mon cher Canada, embelli
d’une grande variété de croix très aimables et très adorables? Un si grand
bien, un si grand emploi, une vocation si sublime, en un mot le Canada et ses
délices qui sont la croix, ne se peuvent obtenir que par des dispositions
conformes à la croix. 19
Les témoignages d’une vie mystique authentique
abondent parmi les Jésuites de la mission. Le Père Chastellain, confident de
Marie de l’Incarnation, a composé en Huronie durant les longs mois d’hivernage
une série de Méditations sur la vie de Notre Seigneur: l’Affectus amantis
Jesum Christum, qui dénotent un sens aigu des perspectives apostoliques de
toute vie chrétienne et de l’appel universel au salut; et l’on peut en
rapprocher telle ou telle formule des écrits de Marie de l’Incarnation «Que ton
Esprit devienne double en moi, humain et divin, intérieur et extérieur» 20. Il sait ce
qu’est, pratiquement, la contemplation dans l’action. Et sa dévotion à
l’Eucharistie a pris des formes touchantes et enfantines: si le sommeil le
terrassait dans la journée en Huronie, il allait faire un petit somme devant le
Saint-Sacrement, «non sans un grand sentiment de piété... et tandis qu’il
dormait, (il gouûtait) parfois des délices célestes».
Le Père Chaumonot avait appris l’humilité
d’une enfance bohème et aventureuse, et celle-ci l’avait conduit à une voie
d’enfance spirituelle, remplie de foi, de confiance en Dieu, de simplicité de
coeur.
Marie de l’Incarnation a beaucoup apprécié
la direction du Père Jérôme Lalemant dont la langue fourmille d’archaïsmes
savoureux; il avait le sens du concret, de l’image parlante. Si l’attribution
des trois premières Retraites du recueil des Ursulines doit être retenue, il
semble avoir aimé particulièrement les thèmes de la mort au vieil homme, de
l’Imitation du Christ dans tous les états de sa vie, du mérite et de l’efficience
de son Sang, de l’Eucharistie; la première Retraite se développe autour d’une
théologie de l’image de Dieu, défigurée par le péché, rétablie par la
conformité avec Celui qui est l’Image même, le Verbe de Dieu incarné; il faut,
après avoir dépouillé tout ce qui relève du vieil homme se revêtir de
l’humilité de coeur de Jésus-Christ, de sa pauvreté, de sa charité, de sa miséricorde,
de sa douceur et de sa mansuétude, de sa mortification, de sa ferveur et
dévotion, de sa prudence et de sa discrétion. La profession est une mort, par
la triple immolation des voeux, d’où Dieu fait jaillir la grâce, de la double
source du Verbe Incarné et l’Esprit-Saint; l’âme doit désormais se conformer
aux États du Verbe, spécialement à sa vie obscure et cachée au ventre de sa
Mère, et à sa vie conversante. On reconnaît là des thèmes à saveur bérullienne;
mais la perspective de l’auteur reste ascétique et volontariste 2121.
Le Père Paul Ragueneau est l’un des
Jésuites du Canada que l’on connaît le mieux par ses écrits, car il s’est fait
le collecteur de textes spirituels et sa correspondance est riche. Il eut le
Père Louis Lallemant comme préfet des études en 1633, puis comme recteur en
1634-1635. Si la troisième série des Retraites des Ursulines lui revient, il
faut y voir l’expression de sa fidélité extrême et de son recours direct à la tradition
ignatienne des Exercices; les auteurs qu’il recommande sont Rodriguez, Stella,
mais aussi le Père Saint-Jure, grand ami et directeur du baron de Renty et de
Jeanne Mance, un Jésuite mystique qui n’a cessé de prêcher l’abandon à la
divine Providence et à la conduite de l’Esprit de Dieu. De même le Père
Ragueneau se montre-t-il très attentif à cette conduite, recommandant bien de
n’en pas entraver l’action par des initiatives personnelles. La source de la
participation aux souffrances rédemptrices du Christ a son lieu privilégié
dans la célébration de la Messe. S’il fallait attribuer cette partie au Père Le
Mercier, on constaterait une fois de plus les convergences. Les Jésuites du
Canada ont beaucoup regardé du côté de leurs frères de France qui proposaient
un enseignement résolument mystique, tout en demeurant essentiellement fidèle à
la tradition ignatienne. Le Père Ragueneau met au service de celle-ci son bon
sens, son expérience, sa connaissance des âmes, son souci de s’adapter à la
disposition et à la situation particulière de chacun. Avec force, mais dans la
paix et la tranquillité, il propose toujours aux âmes le motif déterminant de
l’amour de Dieu; son style même a quelque chose qui rappelle l’Imitation de
Jésus-Christ 22.
Marie de l’Incarnation a laissé sur les
Jésuites de la Mission du Canada des jugements qui sont une reconnaissance très
explicite de leur sainteté; on pourrait aisément multiplier les citations et
constituer un florilège. Elle savait ce qu’elle disait. Il n’y a pas à se
méfier ici du parti-pris des gens de dévotion de ne dire que le bien et de
relever le positif partout où ils le rencontrent, en passant sous silence des
lacunes trop évidentes. Marie de l’Incarnation est un juge suffisamment averti
pour que l’on ne se méprenne pas sur sa pensée, et tel jugement parfois sévère,
mais toujours nuancé et pesé, ne permet pas de recuser ceux qui sont tout de
louange; ces derniers abondent sous sa plume, dès qu’il est question des
missionnaires: «Tous les Pères de la Compagnie se rendent admirables par leurs
actions héroïques: ils ne craignent ni vie ni mort, se jetant par un saint
aveuglement dans la barbarie la plus féroce» 23. Et elle se fâche
quand on se permet de critiquer leur emprise sur la colonie.
La physionomie de Marie de l’Incarnation
domine de très haut l’univers spirituel canadien du milieu du XVIIe
siècle, comme elle occupe une place très éminente parmi les mystiques français
de son siècle 24. Depuis que s’est dessinée sa vocation canadienne en 1634-1635, elle
est sous la direction de Jésuites et entretient avec eux d’étroits rapports; il
y a eu quelques ombres, mais sa dette est grande à l’égard du Père de la Haye,
du Père Dinet, du Père Saint-Jure, du Père Jérôme Lalemant surtout, du Père Le
Mercier et du Père Ragueneau; elle connaît aussi et aide les jeunes Jésuites de
la Mission, exerçant à leur égard une sorte de maternité spirituelle, dès avant
son arrivée en NouvelleFrance en 1639.
Mais sa formation spirituelle ne doit rien
aux Pères de la Compagnie; c’est dans un autre univers qu’elle a évolué au
temps où s’est formée sa vie intérieure et où s’est nouée son expérience
spirituelle. Durant le temps de ses grandes expériences fondamentales, elle a
été guidée par des moines, les Cisterciens de la petite Congrégation réformée
des Feuillants. Par eux, elle a été mise en contact avec les écrits de saint
François de Sales, de sainte Thérèse d’Avila, de saint Jean de la Croix, du
Pseudo-Denys.
Elle éprouve beaucoup d’attrait pour les
thèmes bérulliens, mais elle est trop jeune pour avoir bénéficié de l’amitié et
de l'influence de sa grande compatriote, la Carmélite Madeleine de
Saint-Joseph, disciple préférée de Bérulle; ce qu’elle connaît du bérullisme
lui est venu sans qu’elle l’ait cherché, à travers les prédications. Il y avait
en effet à Tours une maison de l’Oratoire, fondée au temps où elle était jeune
femme, et le Père Métezeau y a résidé plusieurs années; les deux frères Gault
étaient originaires de Tours; on sait la place qu’ils ont tenu dans l’Oratoire.
Le Supérieur des Ursulines de Tours, Dominique Sain 25, était également
très pénétré de la doctrine de Bérulle: sens de l’adoration des grandeurs de
Dieu, christocentrisme, culte du mystère de l’Incarnation, attention portée à
la vie cachée et à l’intérieur de Jésus; mais son ascèse, celle qu’il proposait
aux âmes, avait un caractère moins passif et, pour ainsi dire, moins mystique
que celle de Bérulle; il recommandait la docilité à la grâce, l’attention aux
lumières et aux inspirations de Dieu, mais non de laisser agir le Christ seul
dans l’âme, en maintenant celle-ci dans l’état de servitude. Plusieurs de ses
formules présentent des analogies avec celles de Pascal. Un des signes de bérullisme
chez Marie de l’Incarnation est son voeu de servitude à Marie, dont elle a
porté le signe sous la forme de la petite chaîne du saint esclavage qu’elle
avait au cou et qu’elle a léguée à son fils en mourant.
Marie de l’Incarnation n’a rien d’une
théoricienne de la spiritualité et des états mystiques; elle a décrit
simplement son expérience pour ceux qui étaient chargés de la diriger, en 1633
pour le Père de la Haye, en 1653-1654 pour le Père Jérôme Lalemant sur les
instances réitérées de son fils; de ce fait, elle a dû réfléchir pour mieux
rendre compte de ce qu’elle avait vécu et de ce qu’elle vivait, mais toujours
dans un but immédiatement pratique. Elle a été plusieurs fois déconcertée par toutes
les questions que pouvait se poser son fils quand il recevait communication de
ce qu’elle avait expérimenté; elle se contentait pour elle-même de décrire,
sans souci de mettre en forme son expérience à l’intention des autres; son
expérience-type, un modèle auquel on devrait nécessairement se référer. Cela ne
l’empêchait pas, à l’occasion, de donner des conseils extrêmement judicieux, ou
même de tenter, comme dans la finale de la Relation de 1654, de
rechercher l’unité profonde de son aventure intérieure, en la ramenant à une
idée fondamentale, la pauvreté spirituelle.
Quoi qu’il en soit, elle est très
différente des maîtres qui enseignent, des théoriciens qui bâtissent. Si elle
est maître spirituel, c’est à son insu. Elle ne crée pas une école et ne se
conforme pas à une école 26.
De l’école rhéno-flamande, elle a hérité
cependant d’un sens extrêmement aigu de la transcendance divine, que son
expérience personnelle a encore rendu plus profond; elle emploie fréquemment,
comme les maîtres de l’école, les formes superlatives, comme suressentiel,
suréminent. L’union à Dieu selon l’essence, est en fait pour eux comme
pour elle une union selon la volonté, car «l’essence» d’un être conscient se
résume, se ramasse et se concrétise en quelque sorte dans sa volonté; l’union
s’accomplira quand la volonté de l’homme qui appartient au monde du néant et
des apparences, ira se perdre dans volonté divine, quand elle s’absorbera en
elle. Les rhéno-flamands se demandaient si l’humanité du Christ était comprise
parmi les éléments créés que l’âme devait dépasser pour se perdre en Dieu; ils
ont répondu généralement par l’affirmative, et il fut un temps où Marie de
l’Incarnation elle-même ne se sentait plus libre de s’arrêter à l’humanité du
Christ. Mais les partisans de ce dépassement étaient cependant unanimes à
considérer que l’humanité du Verbe Incarné était le seul chemin qui conduise à
la divinité; Bérulle a insisté dans ce sens, et Marie de l’Incarnation a trouvé
sur ce point un merveilleux équilibre dans son culte et sa contemplation de la double
beauté, divine et humaine du Verbe, devenu le plus beau d’entre les enfants des
hommes.
Avec les maîtres rhéno-flamands, Marie a
senti que l’union à Dieu, parce qu’immédiate, est une union sans entre-deux,
sans aucun intermédiaire, même d’ordre intellectuel; elle a expérimenté la
nécessité pour elle de dépasser les pensées, les réflexions, les images, les
connaissances, qui risquaient d’entraver son progrès spirituel. Elle n’est pas
anti-intellectuelle, mais, en fait, son expérience de Dieu se situe dans un
au-delà. Au Père Poncet, elle confie en 1670: «Je me sens dans une pauvreté qui
m’anéantit sous son poids aux pieds de sa divine Majesté. Avec tout cela Dieu
fait compâtir avec cet état celui d’union qui me tient liée à sa divine
Majesté, il y a plusieurs années, sans en sortir un seul moment... Dans cet
état, l’âme possède tous les mystères, mais par une seule et simple vue, car
d’y faire des réflexions, cela lui est impossible: la pensée des Anges et des
Saints ne peut être que passagère, car, en un moment et sans y penser, elle
oublie tout pour demeurer dans ce fond où elle est perdue sans aucune opération
des sens intérieurs» 27.
Et elle précise la même année, à
l’intention de son fils:
Je me vois perdue
par état dans sa divine Majesté, qui, depuis plusieurs années, me tient avec
elle dans un commerce, dans une liaison, dans une union et dans une privauté
que je ne puis expliquer. C’est une espèce de pauvreté d’esprit qui ne me
permet pas même de m’entretenir avec les Anges, ni des délices des Bienheureux,
ni des mystères de la foi. Je veux quelquefois me distraire moi-même de mon
fond pour m’y arrêter et m’égayer dans leur beauté comme dans des choses que
j’aime beaucoup; mais aussitôt je les oublie, et l’esprit qui me conduit me
remet plus intimement dans mon fond où je me perds dans Celui qui me plaît plus
que toutes choses. J’y vois ses amabilités, sa Majesté, ses grandeurs, ses
pouvoirs, sans néanmoins aucun acte de raisonnement et de recherche, mais en un
moment qui dure toujours... 28
La contemplation est donc absolument libérée
des images et n’est plus en état d’utiliser le raisonnement discursif; les
rhéno-flamands parlaient de nudité d’esprit, Marie de l’Incarnation préfère le
terme de pauvreté en son sens le plus plein; elle s’est longuement expliqué làdessus
dans le chapitre conclusif de la Relation de 1654 où elle résume son
expérience antérieure en terme d’entrée dans l’état de pauvreté, de
dépouillement, de nudité, de désappropriation, d’oubli d'elle-même. Elle est
bien convaincue de son néant, mais maintient fermement, contre les excès du
néantisme, que ce néant est un néant propre au Tout, proportionné à lui,
destiné à lui, et que Dieu a la plus grande considération pour ce néant. Le
caractère d’union mystique dans une fête d’épousailles qui a marqué de manière
indélébile son expérience, et qui lui a donné conscience de son état d’épouse
du Verbe incarné, l’a préservée également des excès de certaines formules où la
créature semble annihilée en Dieu.
Mais, comme les rhéno-flamands, sa volonté
humaine est et se veut pleinement absorbée dans la volonté divine, et sa
contemplation est plus un état qu’un acte transitoire; elle a expérimenté
qu’elle vivait en Dieu et que Dieu vivait en elle.
Les points de rencontre avec l’héritage de
la spiritualité nordique sont donc nombreux chez Marie de l’Incarnation,
beaucoup plus nombreux qu’avec les mystiques espagnols, ou même avec Bérulle.
Du fait de sa description de la contemplation
comme état plutôt que comme acte, elle a pu servir à Mme Guyon d’argument, en
faveur d’un certain type de relation à Dieu, comme d’ailleurs la même se
réclamait de sainte Jeanne de Chantal. Mme Guyon avait en outre consulté le
fils de l’Ursuline, Dom Claude Martin, avant d’entreprendre une mission qui,
comme pour Marie de l’Incarnation, devait l’éloigner de ses enfants: la
fondation à Gex d’une maison de Nouvelles Catholiques. Les Justifications de
Madame Guyon, composées en 1695, à l’occasion des conférences d’Issy,
utilisent, avec saint Jean de la Croix, Olier, Benoît de Canfeld, Jean de
Saint-Samson, Louis Épiphane, abbé d’Etival, et Marie de l’Incarnation; elle
les envoya à Bossuet le 3 octobre. Fénelon invoquait Marie de l’Incarnation à
l’appui de ses thèses, et Bossuet, pour ne pas demeurer en reste, l’a
revendiquée de son côté 29.
Mais elle ne se laisse pas facilement
confisquer; son expérience lui est particulière; par plus d’un trait, elle
pourrait être comparée à celle de Claudine Moine, qui rédigea précisément ses
relations spirituelles à Paris dans les mêmes années, de 1652 à 1655 30. Ce qui frappe
chez elle, c’est l’équilibre, l’unité profonde réalisée au sein d’une existence
apparemment tiraillée entre deux pôles opposés: la contemplation mystique, de
l’ordre le plus élevé, et une action extérieure multiforme et exigeante qui
semble ne lui laisser que des loisirs infimes, et ne pas permettre une liberté
d’esprit suffisante.
Elle a déclaré elle-même dans une lettre de
1665 que l’intégration de l’action et de la contemplation progressait avec les
différentes étapes de la vie intérieure; déjà dans l’état très élevé qu’elle
nomme l’oraison d’union: «Si la personne a de grandes occupations, dit-elle,
elle y travaille sans cesser de pâtir ce que Dieu fait en elle: cela même la
soulage, parce que les sens étant occupés et divertis, l’âme en est plus libre;
d’autres fois, les affaires temporelles et la vie même lui sont extrêmement
pénibles à cause du commerce qu’elles l'obligent d’avoir avec les créatures»;
mais dans l’état du mariage spirituel et mystique, l’intégration est parfaite:
«Les sens y sont tellement libres que l’âme qui y est parvenue peut agir sans
distraction dans les emplois où sa condition l’engage» 31
Chez elle, cette synthèse s’est réalisée
bien avant son arrivée au Canada, et son nouveau directeur spirituel de 1645,
le Père Jérôme Lalemant ne pouvait que la constater avec joie: «(Il)... me
disait que je ne devais jamais refuser l’emploi dans les affaires temporelles,
vu qu’elles ne me distrayaient point du grand commerce dont il plaisait à la
divine Majesté m’honorer avec elle» 32.
Marie de l’Incarnation au Canada a été
contemplative dans l’action; elle apportait dans son apostolat un don d’oraison
extraordinaire qui lui permettait même de faire de l’étude des langues
indiennes, pourtant si ardues – elle le reconnaît elle-même – une oraison.
Cette unité de l’action et de la contemplation en laquelle elle a réalisé en
plénitude sa vocation missionnaire, produisait en elle, disait-elle, une paix
suréminente qui était la marque certaine de la profondeur de cette unité.
«Monsieur de Genève dit qu’il y a des
oiseaux qui, en volant, prennent leur réfection. J’en suis de même en matière
de la vie de l’esprit, car dans les tracas où je suis attachée par nécessité,
je prends la nourriture solide et continuelle que je viens de dire» 33. Par son exemple,
Marie de l’Incarnation a prouvé que la vie apostolique engagée dans les tâches
les plus accaparantes et les plus distrayantes peut prendre appui sur la vie
contemplative et alimenter la contemplation elle-même; le coeur est fixé en
Dieu, il adhère à lui et le contemple par la médiation même de l’action apostolique;
le seul mélange qui fasse obstacle à la vraie contemplation est le mélange de
soi-même, l’impureté qui fait que l’être en son intime n’appartient pas
réellement et totalement à Dieu:
Notre union n’est
jamais plus éminente que dans les travaux soufferts à l’imitation et pour
l’amour de Jésus-Christ qui était dans le temps de ses souffrances et surtout
au point de sa mort dans le plus haut degré d’union et d’amour pour les hommes
avec Dieu son Père.... 34
La loi d’unité régit la vie spirituelle de
Marie de l’Incarnation, et pas à ce plan seulement; son entrée dans la vie
mystique à l’âge de vingt ans, le 24 mars de l’année 1620, a été préparée par
une grâce de même ordre qu’elle a eue au moment de son entrée dans l’âge de
raison. En 1620, elle a reçu comme une investiture: elle a été plongée dans le
Sang du Christ et a découvert ce que représentait le fait de la Rédemption pour
elle comme pour chacune des âmes; elle aura toujours devant les yeux le prix de
la Rédemption et la hantise que ce Sang ait été répandu en vain. Toutes les
âmes acquises par le Sang du Christ doivent devenir effectivement sa
possession, son royaume; elle a conscience du caractère tragiquement sérieux
de l’Amour divin, de ses droits infinis et méconnus. Dieu est Dieu et l’on ne
se moque pas de lui; il lui faut toute la place en elle-même, sans partage, et
toutes les âmes sont appelées de même à la sainteté. Et chacune des grâces de
son itinéraire mystique: les illuminations trinitaires, l’union matrimoniale
avec le Verbe ont une orientation apostolique qui se dessinera dans toute sa
netteté quand elle aura fait choix, sous la poussée de l’Esprit, de la vie
religieuse chez les Ursulines, à un âge où son jeune fils aurait eu encore
besoin d’elle pour quelques années encore.
Sans verser dans le paradoxe, on peut
affirmer à la fois le caractère classique de l’expérience spirituelle de Marie
de l’Incarnation et son originalité. Elle présente des affinités avec Thérèse
d'Avila, Jean de la Croix, Bérulle, Bernières, et plus lointainement avec
Catherine de Sienne; mais même là où les affinités sont le plus sensibles, il
n’y a pas de dépendance, et c’est toujours «après coup», après avoir fait ses
propres expériences, qu’elle aborde les auteurs qui auraient pu la guider et où
elle a la joie de se reconnaître partiellement. Antérieurement à son entrée
dans la vie mystique, elle a eu la dévotion, répandue en Touraine, aux Cinq
plaies du Christ, héritage médiéval, consacrée sur place par saint François de
Paule, venu à Tours à la demande de Louis XI. Sa dévotion au Sang du Christ,
puis au Coeur du Christ, la première datant de la grâce du 1620, la seconde
naissant vers 1625, se résument dans son culte pour la Personne du Sacré Verbe
Incarné dans sa double beauté divine et humaine.
Les grâces mystiques lui ont été accordées sous une forme en harmonie
avec la structure de son esprit; l’élément intellectuel prédomine sur tout
autre; la sensibilité n’a presque pas de place et les images n’apparaissent que
rarement, le plus souvent sous la forme de l’allégorie. Elle pratique
l’introspection; ses analyses sont d’une lucidité et d’une précision
remarquables; mais elle n’aime pas les complications inutiles et coupe court
aux réflexions vaines et superflues. La simplicité qu’elle prêche est chez elle
qualité de nature avant de devenir vertu.
Son itinéraire mystique est absolument
normal, normatif pourrait-on dire; en dépit de son caractère exceptionnel, il
offre le type parfait de la voie par laquelle l’Esprit Saint fait monter
progressivement les âmes qui s’adonnent à sa conduite. Au plan de la conscience
et de l’expérience, ce qu’elle vit est tout simplement l’essentiel des réalités
de la vie chrétienne: la grâce de filiation donnée au baptême, l’union
mystique, comparable au mariage que toute âme contracte avec Dieu quand elle
lui est unie par la grâce, ou qu’elle s'engage plus totalement à son service
par la consécration religieuse, l’habitation de la Trinité dans l’âme du fait
de la vie théologale qui lui est donnée dans les sacrements, l’union au Verbe
Incarné dont l’Eucharistie est le moyen privilégié. Tout chez elle est à la
fois exceptionnel et pourtant en parfaite cohérence avec tout ce que le
Nouveau Testament enseigne de la vie en Dieu, dans le Christ et dans l’Esprit
qui est le partage de toute âme chrétienne.
Lorsque l’on quitte l’univers spirituel de
Marie de l’Incarnation pour celui de Catherine de Saint-Augustin, l’impression
est une douloureuse plongée dans les ténèbres 35. Les «diableries»
sont pratiquement absentes de l’expérience intérieure de l’Ursuline, sauf de
très loin en très loin. Ici, ils sont omniprésents. Sur un mode différent et
dans des circonstances autres, on retrouve en Catherine de Saint-Augustin
quelque chose de l’étrange sainte de Coutances, Marie des Vallées, vénérée par
le Père Louis d’Argentan, par Bernières, par saint Jean Eudes surtout; une
malédiction semble peser sur elle; elle est comme une sorte de bouc émissaire
pour les péchés de sa génération qu’elle porte en elle sous forme de tentations
et d’obsessions 36
Mais alors que Marie des Vallées vit comme
une pauvresse, parcourant les routes, vêtue de haillons, se comportant
extérieurement, à certaines périodes de sa vie, comme une possédée, et
connaissant même les prisons de l’officialité, il ne paraît rien à l’extérieur
de l’aventure que mène Catherine de Saint-Augustin; au milieu de ses soeurs,
elle vit très simplement, remplissant la charge de dépositaire, de première
hospitalière, de maîtresse des novices, aimée des malades pour sa gentillesse
et son sourire; on songeait à l’élire pour supérieure, quand elle mourut le 8
mai 1668 à 36 ans d’un crachement de sang. Le Père Ragueneau publia sa Vie en
1671 à partir de relations autobiographiques; dès après sa mort on avait
commencé à parler à son sujet de faits extraordinaires. Joyeuse, sereine,
paisible pour son entourage, elle avait été en fait obsédée du démon,
tourmentée de mille manières, sentant peser sur elle tous les péchés du Canada
et les voyant en quelque sorte installés en elle; elle avait vécu en compagnie
des anges noirs, s’offrant généreusement à Dieu pour tous les genres de
supplice et de tentation, pourvu que le péché en tant qu’acte volontaire ne
trouve pas de connivence en elle. Les tentations contre la chasteté ont été
particulièrement rudes chez elle. Elle s’est donnée comme victime pour protéger
le Canada et obtenir pour lui miséricorde.
Quant à la Mère de
Saint Augustin de la vie de laquelle vous me demandez mon sentiment, écrit
Marie de l’Incarnation au Père Poncet en 1670, je vous dirai entre vous et moi
que je ne suis pas trop savante en ses affaires. Je sais seulement qu’à son
extérieur, elle était dans la vie commune comme une bonne religieuse doit être.
Lorsqu’elle était en santé (car elle était presque toujours malade) elle était
une fidèle observatrice de ses règles. Mais depuis que j’ai su les étranges
tentations et les persécutions atroces que les démons lui avaient suscitées
jour et nuit l’espace de seize ans, j’ai cru que c’était là sa plus grande
maladie... J’ai entendu de Monseigneur notre Prélat que cette bonne Mère était
l’âme la plus sainte qu’il eût connue; il en pouvait parler comme savant, car
c’est lui qui la dirigeait dans ces choses extraordinaires. Mais le Père
Chastelain en sait plus qu’aucun autre, parce qu’il était son père spirituel et
elle lui déclarait entièrement les secrets de son coeur. 37
Il est possible que, chez Catherine, le
psychisme ait été atteint, mais les maladies même de cet ordre n’ont jamais
empêché une âme de parvenir à la sainteté et connaître une authentique vie
mystique, plus difficile de ce fait à discerner, mais réelle.
La fondation de Montréal doit beaucoup aux
mystiques; on peut la considérer comme l’oeuvre conjuguée de trois hommes qui
n’ont jamais quitté le sol de France, deux laïcs: M. Le Royer de La Dauversière
et le baron de Renty, un prêtre: M. Olier. L’idée première de la fondation de
la colonie répond à un désir exprimé par les premiers missionnaires du Canada:
attirer en Nouvelle-France des paysans, bons chrétiens, qui demeureraient
auprès des Indiens, leur apprendraient à vivre de la terre et sur la terre, les
formant du même coup aux habitudes chrétiennes, afin de constituer
outre-Atlantique une chrétienté sur le modèle de celle de France.
La brochure des «Véritables motifs des
Messieurs et Dames de la Société de Notre-Dame de Montréal» a été composée en
1643, sous l’inspiration immédiate de La Dauversière 38 qui avait rédigé
en 1641 un premier schéma; elle a valeur de document autobiographique et il y a
lieu d’en faire le plus grand cas, même et surtout si l’on considère les
auteurs comme de pieux illuminés:
Le dessein de
Montréal a pris son origine par un homme de vertu qu’il plût à la divine Bonté
inspirer, il y a sept ou huit ans (donc en 1635), de travailler pour les
Sauvages de la Nouvelle France dont il n’avait auparavant aucune particulière
connaissance et, quelque répugnance qu’il en eût, comme chose par dessus ses
forces, contraire à sa condition et nuisible à sa famille. Enfin, plusieurs
fois poussé et éclairé par des vues intérieures qui lui représentoient
réellement les lieux, les choses et les personnes dont il devait se servir...
fortifié intérieurement à l’entreprendre comme service signalé que Dieu
demandait de lui, il se rendit comme Samuel à l’appel de son Maître. 39
La Dauversière est un élève et un disciple des
Jésuites, mais il a été mis assez vite en relation avec M. Olier et saint
Vincent de Paul, et Renty devint son collaborateur et son ami; nous voyons donc
confluer ici sur un fonds ignatien solide, le meilleur de l’École française et
la spiritualité Carmélitaine conjuguée avec l’héritage bérullien, si tant est
que Renty se laisse, lui aussi, enfermer dans une école de spiritualité.
La double conversion des Indiens à la vie
chrétienne et à la vie sédentaire conçue sur le modèle français n’apparaissait
pas comme une oeuvre aisée, mais les Associés étaient certains qu’il était
possible d’aboutir à un résultat positif. L’Hôtel-Dieu de Montréal, confié à
Jeanne Mance serait appelé à jouer un rôle important dans cette évolution vers
une chrétienté indienne, encadrée par les Français.
Sur place, en effet, les Associés de
Montréal ont envoyé quelques grands chrétiens, Maisonneuve, le chef de la
colonie, Jeanne Mance qui s’est offerte pour gérer le futur Hôtel-Dieu, puis un
peu plus tard M. d’Ailleboust, sa femme et sa belle-soeur.
Jeanne Mance s’est agrégée tardivement au
groupe des hommes de Montréal; sa vocation canadienne lui est venue par
d’autres voies par un grand attrait intérieur et un appel, quand elle prit
connaissance de la place faite aux femmes et aux religieuses dans la mission à
Québec. À Langres déjà, elle se trouvait sous la direction spirituelle des
Jésuites; à Paris, elle alla demander conseil au Père Charles Lalemant et
surtout au Père Saint-Jure dont, jusqu’à sa mort, elle allait méditer l’oeuvre
maîtresse: De la connaissance et de l’amour de Notre Seigneur JésusChrist; une
amitié spirituelle très profonde l’unit aussi au baron de Renty, relayée après
la mort de celui-ci par une référence constante à sa Vie, écrite par le
Père Saint-Jure. C’est à ces sources qu’elle dut de comprendre toujours
davantage ce qu’impliquait sa propre voie d’abandon total, confiant, sans
réserve aucune entre les mains de la Providence, dans la «complète désapropriation
de soi» qu’elle pratiqua jusqu’à l’héroïsme.
Lorsque Marguerite Bourgeoys vint la
rejoindre à Montréal avec la fameuse recrue de 1653, la nouvelle venue avait
déjà bénéficié en France d’influences spirituelles multiples : les deux plus
fondamentales sont celles du saint Lorrain, Pierre Fourier, fondateur de la
Congrégation de Notre-Dame qu’il avait dû orienter vers une forme semi-contemplative
avec la clôture, et de Bérulle. La vision fondamentale qui semble avoir guidé
Marguerite Bourgeoys à travers sa vie et sa mission, est le mystère de la
Visitation de Marie, mystère de vie voyagère et conservante 40.
Une présentation de son intuition est
donnée par M. Montgolfier dans la Vie éditée en 1818 (mais écrite
antérieurement) qui fait sans doute référence à des Écrits aujourd’hui perdus:
Notre Seigneur, en
montant au ciel, a laissé sur la terre une espèce de congrégation de filles qui
renferme tous les états et dont Marie était la première supérieure. Le
Saint-Esprit dans l’Évangile nous a conservé les noms des principales
Congréganistes qui, dans la suite, ont servi de modèles à toutes les
communautés de filles que Dieu a établies dans son Église. Ces Congréganistes
étaient Madeleine et Marthe, disciples et amies du Sauveur du monde. La
première devait être le modèle des Communautés religieuses qui, renfermées dans
le cloître, s’appliquent principalement à la prière et à la contemplation;
Marthe devait être le modèle de celles qui se consacrent à l’hospitalité; mais
la Sainte Vierge qui était pour l’instruction, renfermait tout éminemment en sa
propre personne. 41
Saint François de Sales avait déjà été séduit
par le mystère de la Visitation et avait conçu l’Ordre religieux qu'il avait
fondé, un peu sur le modèle que se proposait de réaliser Marguerite Bourgeoys;
mais le vocabulaire et les modes d’expression sont bérulliens et ‘'est Bérulle
qui reste la principale source d'inspiration.
Aussi Marguerite Bourgeoys se trouva-t-elle
accordée avec le climat d’École française qui règna à Montréal à partir de
l’arrivée des Sulpiciens; Olier avait été l’un des principaux animateurs de la
Société des Messieurs et Dames de Montréal et les Sulpiciens de France la considéraient
comme une sorte d’héritage familial.
Plus que personne avant lui, M. Olier avait
contribué à rendre la doctrine de Bérulle accessible au grand nombre; il y
avait d’autant plus de facilité qu’il l’avait connue lui-même principalement à
travers Condren, c’est-à-dire déjà formulée dans une langue moins difficile,
plus populaire, et allégée d’un certain nombre de développements théologiques.
Ce bérullisme réduit, on pourrait presque dire appauvri, était susceptible
d’exercer une influence beaucoup plus vaste et d’acquérir une audience
considérable au sein du clergé et des fidèles. De tempérament très différent
de Bérulle, Olier a trouvé des images très parlantes pour rendre vivantes auprès
du grand nombre les splendeurs doctrinales de l'École française 42.
Il serait d’un grand intérêt d’étudier pour
elle-même la physionomie spirituelle de chacun des membres de la Compagnie de
Saint-Sulpice qui vinrent au Canada dans la seconde moitié du XVIIe
siècle; mais ils ont surtout vécu l’héritage de M. Olier.
On sait que le siège épiscopal de la
Nouvelle-France a été, si l'’on peut dire, disputé entre les Sulpiciens qui
avaient mis en avant l’abbé de Queylus, et les Jésuites qui obtinrent la
nomination de leur ancien élève, Mgr François de Laval; celui-ci se
disposait à partir en Extrême-Orient avec quelques compagnons pour répondre à
un désir de la Congrégation de la Propagande; il changea donc de direction,
mais non d’orientation, et resta très lié avec les fondateurs du Séminaire des
Missions étrangères de Paris, voulant créer la réplique de celui-ci à Québec.
La dette de Mgr de Laval à
l’égard des Jésuites est considérable; il leur doit toute sa formation; à
Paris, il a bénéficié de la direction du Père Bagot qui animait la Société des
Bons Amis, formée de jeunes prêtres et clercs épris d’une vie sacerdotale
pauvre et consacrée aux pauvres, évangélique au plein sens du terme. Mais il
est aussi très attiré par le grand spirituel laïque, Jean de Bernières, auprès
duquel il s’est retiré quelque temps avant sa nomination épiscopale. Bernières
était résolument mystique par son orientation et se fit si bien l’apôtre d'une
certaine passivité, que son Chrétien intérieur a fait l’objet d’une
condamnation lors du conflit Bossuet-Fénelon, avec tous les ouvrages qui
prônaient celle-ci 43. Il est probable qu’il avait lui-même manqué
de discrétion; saint Jean Eudes déclare que Marie de Vallée lui avait dit à
plusieurs reprises que «autant d’âmes que (Bernières) mettait dans la voie de
l’oraison passive – car c’est à Dieu à les y mettre – il les mettait dans le
chemin de l’enfer» 44. Il enseignait de préférence aux âmes, selon
d’ailleurs une spiritualité très exigeante et de caractère un peu sombre, la
consommation et l’unité en Dieu, l’anéantissement et la mort spirituelle, la
vie cachée en Dieu pour une transformation en Jésus-Christ, la sainte folie de
la croix, la pure passivité de l’âme pour une vie cachée en Dieu; à ses
dirigés, il proposait la voie du pur amour, dégagé de toute considération
personnelle, s’exprimant par une vie crucifiée, la pauvreté, le dépouillement,
le renoncement absolu, les privations.
Cet idéal attirait certainement beaucoup
d’âmes, puisque le Chrétien intérieur de l’aveu de Nicole, un
anti-mystique déclaré, a eu plus de quarante éditions en seize ans.
Mgr de Laval n’était pas
lui-même un mystique, mais le fait de son amitié persévérante pour le groupe
des disciples de Bernières, montre à l’évidence que son ascétisme n’était pas
fermé et qu’il était parfaitement apte à en comprendre les dépassements.
L’empreinte personnelle qu’il a laissée à
Québec est à l’image de sa vie: ardeur missionnaire, désintéressement, amour de
la pauvreté, sens de l’accueil, importance de la vie intérieure, humilité et
pénitence. Il a tenté de faire passer tout cela dans une Institution, le
Séminaire des Missions étrangères de Québec qu’il concevait comme une véritable
maison commune du clergé séculier missionnaire, celui-ci étant invité à mettre
en commun toutes ses ressources dans un esprit de fraternité imité de la
première communauté de Jérusalem au lendemain de la Pentecôte 45 .
Pour connaître dans toute son étendue ce
que fut le sentiment religieux en Nouvelle-France au XVIIe siècle,
il faudrait tenter de voir non pas seulement comment les valeurs chrétiennes,
véhiculées par les différents courants religieux et spirituels, ont été vécues
par les prêtres, religieux et séculiers, et les âmes d’élite, religieuses ou
laïques, non pas seulement comment elles ont été enseignées et monnayées par la
médiation de dévotions populaires (pratiquées d’abord très sincèrement par
ceux qui les inculquaient): dévotion à saint Joseph, à la Sainte Famille, à
l’Enfant Jésus, Roi des coeurs, à sainte Anne...; mais comment elles ont été
reçues au fait par le peuple fidèle, tant du côté des Indiens convertis (et ici
Kateri présente un sommet), que du côté des Français établis au Canada. Mais
cela suppose une longue enquête, difficile à mener, comme tout ce qui touche la
vie spirituelle des simples, connue seulement par ses manifestations
extérieures, souvent très «formelles», et la matière abordée dans la présente
étude était déjà surabondante. L’une des meilleures enquêtes dans cette
direction est celle menée par Jean Simard et publiée en 1976: Les dévotions
de l’École française et les sources de l’imaginerie religieuse en France et au
Québec 46. Elle ne prétend pas couvrir toute la vie religieuse populaire, et le
champ reste ouvert aux recherches.
Dom
Guy-Marie OURY
moine de
Solesmes
Benedictine
Monastery
Westfield, Vermont, U.S.A.
1 Voir S. Delacroix, Histoire des Missions
catholiques, t. II. Les Missions modernes, Paris, 1957 (ouvrage
collectif).
2Voir
A. Rayez, «Marie de l’Incarnation et le climat spirituel de la NouvelleFrance»,
dans Revue d’Histoire de l’Amérique française, t. XVI, 1962, p. 3-34; on
se reportera à la bibliographie de cette étude, très complète pour les travaux
parus avant elle. On pourra aussi consulter l’article «France» dans le Dictionnaire
de Spiritualité.
3Voir.
R. Darricau, «La sainteté en France (1590-1715)», dans Histoire et Sainteté,
5e rencontre d’Histoire religieuse, Angers-Fontevraud, 1981,
Angers, 1982, p. 65-94; les autres communications présentent également un
grand-intérêt dans la perspective qui nous occupe.
4Constitutions et
Règlements des premières Ursulines de Québec, 1647, éd. G. Lapointe, Québec, 1974
(multigraphiée), p. 142.
5Saint Ignace de Loyola,
Exercices spirituels, Texte définitif (1548), trad. et commentés par J.-Cl. Guy,
Paris, 1982. Introduction.
6G.-M. Oury, «Le recueil des Retraites des Ursulines de
Québec », dans Église et Théologie, t. 9, 1978, p. 271-89.
7Voir L. Cognet, Histoire
de la Spiritualité chrétienne, sous la direction de L. Bouyer, t. III,
Paris, 1965; L. Bouyer, Introduction à la vie spirituelle, Paris, 1960, p.
287-308; L. Gardet et O. Lacombe, L’expérience du Soi, Étude de mystique
comparée, Paris, 1981; voir surtout introduction et p. 371-83.
8Marie de
l’Incarnation, Correspondance, éd. G.-M. Oury, Solesmes, 1981, p. 887.
9Voir. R. Rigault et G.
Goyau, Martyrs de la Nouvelle-France, Extraits des Relations et Lettres des
Missionnaires Jésuites, Paris, 1925; R. Rouquette, Textes des martyrs de
la Nouvelle-France, Paris, 1947; F. Roustang, Jésuites de la
Nouvelle-France, Textes choisis et présentés, Paris, 1960.
10Voir E. Goidrot, Henri
Bremond, Histoire du Sentiment religieux, Genèse et stratégie d’une
entreprise littéraire, Paris (1982); H. Bremond parle du Père Lallemant au
tome III, Paris, 1920, p. 64 ss.
11Voir A. Pottier, Le
Père Louis Lallemant et les grands spirituels de son temps, Paris,
1927-1929.
12Voir La Doctrine
spirituelle du Père Louis Lallemant, éd. préparée par G.-M. Bertrand,
Montréal-Paris, 1959; Louis Lallemant, Doctrine spirituelle,
Introduction et notes de F. Courel, Paris, 1958.
13Lettre à un
Jésuite, septembre 1646, dans Roustang, Jésuites, p. 271.
14« Manuscrits
autobiographiques », dans Roustang, Jésuites, p. 128.
15Roustang, Jésuites,
p. 294.
16Lettre du 31 mars
1636, ibid., p. 289.
17Roustang, Jésuites,
p. 42.
18Ibid., p. 72-82.
19Notes spirituelles,
dans Roustang, Jésuites, p. 91.
20Roustang, Jésuites,
p. 158.
21G.-M. Oury, « Le
recueil des Retraites », p. 276 s.
22Voir J. Saint-Antoine,
Paul Ragueneau et ses lettres spirituelles, Montréal, 1974.
23Marie de l’Incarnation,
Correspondance, p. 124.
24Voir l’article
«Marie de l’Incarnation» du Dictionnaire de spiritualité et la bibliographie.
25Voir G.-M. Oury,
«Les Retraites spirituelles de Dominique Sain, théologal de Tours», dans Revue
d’Ascétique et de Mystique, t. XLV, 1969, p. 65-78.
26L. Cognet, Les
origines de la spiritualité française, Paris,s 1949; it., De la dévotion
moderne à la spiritualité française, Paris, 1958; et le t. III de l’Histoire
de la Spiritualité chrétienne (Sous la direction de L. Bouyer).
27Correspondance, p. 888.
28Correspondance, p. 897.
Voir L. Cognet, Le
Crépuscule des mystiques, le Conflit Fénelon-Bossuet, Tournai, 1958, p. 66,
68, 248 et 315.
30Voir La
couturière mystique de Paris, Claudine Moine, Relations spirituelles,
présentation par J. Guennou, Paris, 1981.
31Marie de
l’Incarnation, Correspondance, p. 748.
32Ibid., p. 317.
33Ibid., p. 641.
34Ibid., p. 397.
35Voir. P. Ragueneau,
La Vie de la Mère Catherine de Saint-Augustin, Paris, 1671; G. Boucher, Dieu
et Satan, Paris, 1979; A. Merlaud, L’épopée fantastique d’une jeune
Normande, Catherine de Longpré, Paris, 1981.
36Voir. E.
Dermenghen, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées,
Paris, 1926.
37Marie de
l’Incarnation, Correspondance, p. 887.
38Voir G.-M. Oury,
Jeanne Mance et le rêve de M. de la Dauversière, Chambray-les-Tours, 1983
(et bibliographie); id., «Le Fléchois Jérôme Le Royer de la Dauversière et
l’utopie de Montréal», dans La Province du Maine, t. 85, 1983, p.
150-62.
39Réédité en
fac-similé par M.-Claire Daveluy, La Société de Notre-Dame de Montréal,
Paris, 1965, p. 26.
40Voir L. Caza, La
vie voyagère, conversante avec le prochain, Marguerite Bourgeoys,
Montréal-Paris, 1982.
41Ibid., p. 54.
42Voir M. Dupuy, Se
laisser à l’Esprit, Itinéraire spirituel de Jean-Jacques Olier, Paris,
1982; voir aussi J. Monier, Vie de Jean-Jacques Olier, Paris, 1914.
43Voir. G. Souriau, La
Compagnie du Saint-Sacrement à Caen, Deux mystiques normands au XVIIe
siècle, M. de Renty et J. de Bernières, Paris, 1913; R. Heurtevent, Les
oeuvres spirituelles de Jean de Bernières, Paris, 1938.
44Saint Jean Eudes, Oeuvres,
t. X, p. 439.
45Voir N.
Baillargeon, Le Séminaire de Québec sous l’épiscopat de Mgr de
Laval, Québec, 1972, p. 163.
46J. Simard, Une
iconographie du clergé français au XVIIe siècle, Les dévotions de
l’École française et les sources de l’imagerie religieuse en France et au
Québec au XVIIe siècle, Québec, 1976; dans une direction
analogue : P. Hurtubise, «Aspects doctrinaux de la dévotion à la Sainte Famille
en Nouvelle-France», dans Eglise et Théologie, t. 3, 1972, p. 45-68;
pour saint Joseph, on pourra consulter plusieurs études [ans les Cahiers de
Joséphologie.