S.C.H.E.C.. Sessions d’étude, 50 (1983) 159-175
Attentions du clergé
bas-canadien aux
personnes nécessiteuses, 1800-1840
INTRODUCTION
Confiner les activités journalières des curés aux célébrations
liturgiques et sacramentelles, ainsi qu’à leurs exercices spirituels
individuels, relève du mythe ou de l’ignorance. À toutes les époques, les
prêtres de paroisse ont exercé leur ministère selon les quatre axes
fondamentaux de la paroisse: liturgie et sacrements, éducation de la foi des
adultes et des jeunes, fraternité et vie communautaire, promotion humaine.
Cette dernière dimension rejoint toutes les facettes de la vie
en société. Elle est le lieu d’engagement des membres de l’Église dans la
construction du monde. Elle se situe d’une certaine manière aux confins de ce
qui leur est propre et de ce qui relève de la société. Étant donné les
nombreuses avenues de suppléance qui sillonnaient le Bas-Canada au début du 19e siècle, le
clergé se sentait responsable de plusieurs domaines de la vie sociale, en
particulier celui du système scolaire. Les options politiques des citoyens ne
lui étaient pas étrangères, ni le courant nationaliste qui traversait la
population francophone. Ces divers aspects de la pastorale sociale ont été
traités de multiples façons par différents auteurs.
Les propos suivants se limiteront donc à refléter la pastorale
de la promotion humaine sous son angle caritatif. L’attention aux démunis a été
de tout temps considérée comme profondément évangélique. Le curé
François-Xavier Côté n’était pas le seul à écrire ainsi à son évêque: «Du matin
au soir, je suis occupé. À peine puis-je trouver le temps de dire mon
bréviaire... Les uns viennent me trouver pour des dettes qu’ils doivent, les
autres pour de l’assistance, etc... » 1 «Les pauvres me dévorent.» 2 affirme le curé de
Rivière-Ouelle dix ans plus tard. Sans généraliser à partir de ces témoignages
glanés parmi d’autres, on saisira davantage leur pertinence, après que l’on
aura passé en revue différentes facettes de la pastorale caritative de cette
époque. Celle-ci laisse place à la collaboration des laïcs, ce que les clercs
auraient accepté plus difficilement dans les autres dimensions de la
pastorale.
I. FACE AUX
ÉPREUVES NATURELLES
1. Les cataclysmes
Fréquentes étaient les bénédictions de
maisons ou d’autres constructions. Certaines servaient d’actions de grâce au
Seigneur, d’autres de prévention contre toutes sortes de dangers possibles.
Ceux-ci n’étaient cependant pas tous évités pour autant.
Le feu ravageait souvent des immeubles. Le
sinistre de 1803 à Montréal rasa le collège Saint-Raphaël, l’ancienne église
des Jésuites, la chapelle de Bonsecours, la vieille geôle française et toutes
les maisons environnantes. «Il faut pourtant bénir la Providence, qui a
subitement apaisé le vent», proclama le supérieur des Sulpiciens. «Sans cela,
on ne sait jusqu’où se seraient étendus les ravages» 3. D’autres
incendies sérieux survinrent durant le même été à Montréal; Mgr
Plessis accorda la permission de prières publiques. «Si les fidèles épouvantés
de ces calamités successives se tournent du côté de Dieu, c’est une occasion
précieuse de les rappeler à leur religion et de les faire rentrer en eux-mêmes»
4; cela ranimera
leur courage abattu.
Les interventions pastorales ne se
limitèrent pas au domaine spirituel. Des voisins éteignant le feu et des
bienfaiteurs manifestant leur générosité envers les personnes éprouvées
avaient été chrétiennement éduqués dans ce sens. Comme les pertes n’étaient
habituellement pas remboursées par une compagnie d’assurances, faute de
cotisation de la part des gens, et qu’elles l’étaient partiellement en cas
contraire, il s’agissait ordinairement d’aide à des familles démunies.
Dès 1817, un lecteur du Spectateur
canadien regrettait que les édifices publics ne fussent pas protégés contre
les effets de la foudre grâce au «conducteur métallique» 5 de Franklin. Les
églises, surtout à cause de leurs hauts clochers, préserveraient ainsi les
maisons environnantes, tout en étant elles-mêmes protégées contre les éclairs
et le tonnerre. Il fallut attendre le 1er septembre 1836 avant qu’un
paratonnerre ne fût posé sur une église, en l’occurence celle de
Sainte-Élisabeth. Les plans en furent conçus par Amable Duchaîne, un ingénieur
devenu ecclésiastique. La vigilance des fabriques se concrétisait, mais
l’apport financier des paroissiens ainsi que leur main-d’oeuvre bénévole
demeurèrent les principaux moyens de relever tout bâtiment ou édifice ravagé
par le feu.
Face aux cataclysmes, la réaction du clergé
comme celle des concernés était toujours marquée par une référence à Dieu. Seul
ce dernier semblait pouvoir aider les personnes qui subissaient les conséquences
néfastes de tout fléau naturel. Qu’il s'agisse du besoin de la pluie causé par
la sécheresse, de la diminution d’un trop grand nombre de rats ou de mulots, de
la disparition de petits vers jaunes, qui mangeaient le blé dans l’épi, ainsi
que des chenilles, des insectes et des sauterelles (en particulier en 1804,
1805, 1827, 1839), toute précaution humaine était accompagnée d’une
supplication au Seigneur.
L’évêque se réservait le droit d’autoriser
les célébrations appropriées à de telles circonstances. Il ne permettait aucune
prière publique, sans vérifier les conditions suivantes: un fléau réel; une
portion de gens affectés et non pas seulement quelques particuliers; des
personness qui se rendent dignes des bienfaits du Seigneur en s’approchant du
tribunal de la pénitence; une journée de jeûne combinée à celle de la
célébration; une cérémonie « précédée d’une instruction dans laquelle les gens
seront avertis de ne pas se scandaliser, s’il plaît à Dieu de ne pas les
exaucer, mais de se soumettre aux ordres de la Providence, persuadés que Dieu
les afflige ou pour éprouver leur fidélité, ou pour les châtier de leurs
péchés, ou pour leur apprendre par des afflictions temporelles à mépriser la
vie terrestre pour les jouissances de l’autre vie, où le bonheur n’est troublé
par aucune contrariété» 6.
Souvent la vie morale et la piété des gens
s’amélioraient à l’occasion et à la suite de tels malheurs, par exemple à
Sainte-Scholastique en 1839. À Saint-Pierre de l’île d’Orléans, un témoignage,
certifié par huit personnes, rapporte que le lendemain de la procession du 18
août 1833, les vers étaient trouvés morts dans les champs. Les effets des
prières n’apparaissaient habituellement pas de façon aussi flagrante. Il
fallait plutôt fiare face à la disette et à la misère, conséquences régulières
des cataclysmes naturels.
Les capitaines et les notables faisaient
alors leur part, en demandant de l’aide extérieure, au moins en vue de
l’ensemencement de l’année suivante. Quand le gouvernement vérifiait les
besoins de chaque paroisse, il se fiait habituellement au diagnostic du curé.
Beaucoup de personnes prenaient donc leurs responsabilités en faveur des
déshérités, souvent à cause de leur foi chrétienne et sous l’influence des
membres du clergé.
2. Les épidémies
Le soin pastoral des malades faisait partie
intégrante de la journée des prêtres. Outre les visites requises par le
sacrement d’extrême-onction, ils se rendaient régulièrement auprès des malades
pour les encourager dans leurs épreuves, les confesser de leurs fautes et les
faire communier à l’Eucharistie. Les épidémies accroissaient la tâche des prêtres.
La fièvre, qui débuta à l’automne 1809 à Saint-Denis, se répandit durant
l’hive: dans neuf paroisses environnantes. Des victimes en moururent jusqu’au
printemps suivant. L’évêque, informé par un curé dès le 22 nôvembre, en prévint
Sommerville, l’inspecteur des hôpitaux du Bas-Canada. Les personnes âgées succombèrent
plus facilement que les jeunes. Alors que les médecins essayaient de remédier à
la maladie soit par des saignées, soit par le vomi, les habitants alarmés se
référaient au Seigneur par le sacrement du pardon et faisaient chanter des
messes. Une autre épidémie, celle de la fièvre rouge, entraîna la mort de
trente-quatre personnes en janvier et février 1821 à Rivière-Ouelle, mais elle
semble s’être arrêtée là.
Le 31 octobre 1831,
le gouverneur Aylmer demanda aux curés: de conseiller à leurs paroissiens de ne
fréquenter aucun vaisseau venant d’outre-mer et de prendre, avec les personnes
influentes de leurs endroits, des mesures pour empêcher ceux qui sont à bord de
tels vaisseaux de descendre au rivage avant que ceux-ci n’aient été visités par
l’officier de santé. 7
Après s’être
entendu avec Mgr Bernard-Claude Panet, le gouverneur décida plus
tard que le vendredi 4 mai serait
un jour de jeûne et
d’humiliations publics... afin d’obtenir le pardon de nos péchés et d’offrir de
la manière la plus dévote et la plus solennelle nos prières et nos
supplications à la Majesté divine pour détourner les jugements rigoureux que
nos provocations nombreuses nous ont mérités, et particulièrement pour implorer
Dieu de détourner de nous cette grave maladie dont plusieurs parties de
l’Europe sont maintenant affligées.8
Un mandement de
l’évêque précisa qu’une messe solennelle serait célébrée ce jour-là dans toute
église paroissiale ayant un curé résident et qu’à tous les dimanches suivants,
jusqu’à nouvel ordre, des prières spéciales seraient récitées lors des messes
et des saluts du Saint-Sacrement. Mais l’inévitable se produisit en 1832. Le Carrick,
venu de Dublin avec un contingent d’immigrants, contamina d’abord Montréal
au début de juin. Dès le 15, on avait relevé 1,200 cas, dont 230 décès, et le
26, on comptait déjà 3,384 cas, dont 947 décès. À la mi-juillet, 1,500 citoyens
de la seule ville de Québec avaient trépassé. En septembre le choléra cessa ses
ravages; 7,000 personnes étaient mortes.
Les prêtres, appelés auprès des malades
jours et nuits, connurent enfin du répit. Plusieurs se soucièrent, tel le curé
de Québec, Charles-François Baillargeon, des familles réduites à la misère.
Beaucoup d’orphelins furent placés dans de bonnes familles. Des organismes
bénévoles, telles les Dames de la charité, s’occupèrent aussi des veuves et des
orphelins.
Le même fléau rebondit deux ans plus tard,
comme il le referait en 1849, 1851 et 1854. Les malades s’avérèrent moins
nombreux, mais la mort les frappait presque tous. «C’est une vraie peste»,
affirme un curé; «les uns l’attrapent par fréquentation avec les malades ou les
morts; d’autres en sont pris chez eux sans aucune cause connue» 9 Épargné en 1832,
le clergé perdit cette fois quatre prêtres, même si pour l’ensemble de la
population le nombre des morts fut moins élevé. L’apport des prêtres se
manifesta lors des épidémies aux niveaux des derniers sacrements, du réconfort
spirituel, des invitations à la prudence.
Quant aux soins hospitaliers en général,
ils étaient dispensés surtout aux citadins par les quelques communautés
féminines qui se vouaient alors à cette tâche. Des subventions gouvernementales
étaient allouées annuellement, par exemple 3 331 £ en 1830, spécialement en
faveur des «fous, des enfants trouvés, des malades indigents, des immigrés» 10. L’Hôtel-Dieu de
Saint-Hyacinthe fut bâti en 1840, grâce à l’initiative du curé Edouard-Joseph
Crevier et à la générosité des religieuses de l’Hôpital-Général de Montréal,
dénommées localement «les Filles de la charité». On a pu lire alors dans Le
Canadien : «Honneur au clergé qui comprend si bien sa divine mission! Honneur
au vénérable prêtre qui a conçu cette oeuvre et qui a pu vaincre tous les
obstacles pour la mener à bien! » 11
II. VIS-À-VIS DES
PAUVRES
Les périodes marquées par les épreuves
naturelles comportaient des effets néfastes sur les provisions financières des
Canadiens. Un comité spécial du gouvernement releva, en janvier 1834, 2,243
familles réduites à la misère dans vingt-huit paroisses des comtés de Saguenay,
Rimouski, Kamouraska, Bellechasse et de la Beauce. «Il n’est pas rare de voir
des familles qui passent deux jours sans trouver la plus vile nourriture» 12. En 1836, le curé
de Carleton se plaint: «Les années ici vont de mal en pis... Il nous faut tuer
plus de la moitié de nos animaux faute de fourrage. Les gelées ont empêché les
patates, notre pain quotidien, et les blés de mûrir. Pour surcroît de malheur,
des troupes innombrables de vermine rongent et mangent tout ce qui n’est pas
engrangé» 13 Et ces disettes étaient partagées par les curés. «Un morceau de pain
noir, quelques petits poissons, les mouches ou huîtres de l’endroit, crapauds
ou poules de mer, et je ne sais quels autres insectes marins, voilà notre nourriture»
14, gémit le curé de
Câcouna au printemps 1837.
Des habitants ne s’adressaient pas au
gouvernement bas-canadien pour être aidés financièrement, sans que le curé ne
se joignît à eux. Ce dernier convenait avec son évêque de la meilleure façon de
procéder. Les rouages gouvernementaux ne fonctionnant pas rapidement et se
préoccupant bien plus d’empêcher les gens de quêter publiquement (loi de 1818)
que d’enrayer le mal à la source, l’évêque et ses curés couraient au plus
pressé.
Ils remédiaient de diverses façons à
l’indigence des gens. Au lieu de vendre son blé, provenant des dîmes, au prix
normal de 2 $ le minot, le curé François-Xavier Noiseux de Trois-Rivières le
céda aux pauvres en 1805 à seulement 1 $. Mgr Plessis fit distribuer
environ 150 £ aux pauvres de Saint-Eustache et de Saint-Benoît durant l’hiver
1813. Le curé Charles Berthelot procura 25 louis de ses biens à son évêque,
afin que ce dernier les distribuât aux démunis: «Il faut dans la disette donner
ce qu’on a épargné dans l’abondance. Quand d’autres crèvent de faim il n’est
plus de saison de garder une poire pour la soif. Ceux qui ont épargné ont
emmagasiné pour la Providence. Qu’ils démagasinent. La Providence leur viendra
encore» 15. En legs testamentaire, Louis Lamothe laissa 1 000 livres françaises
aux pauvres de la paroisse dont il était curé. Au préfet de la Propagande, le
supérieur des Sulpiciens ne manqua pas de signaler en 1822 que la corporation
du Séminaire soutenait les deux mille pauvres de Montréal.
Si les prêtres faisaient leur part en
faveur des pauvres, que dire des fabriques? Mgr Plessis suggéra à
son évêque coadjuteur, qui de sa cure de Rivière-Ouelle supervisait les
paroisses du bas Saint-Laurent, qu’en attendant l’aide éventuelle du
gouvernement les marguilliers pourraient tirer la moitié de l’argent de leur
coffre-fort pour l’achat de vivres en faveur des plus pauvres de leur paroisse.
Mgr Lartigue préférait pour sa part qu’une fabrique prêtât de
l’argent plutôt que d’en donner pour l’achat des grains nécessaires à
l’ensemencement; les plus riches pouvaient selon lui procurer aux plus pauvres
ce dont ces derniers avaient besoin pour subsister. Par exemple, la fabrique de
Saint-Hyacinthe consentit à prêter 250 £ en 1836 aux familles pauvres pour
ensemencer leur terre.
L'évêque de Montréal comme celui de Québec
s’en tinrent finalement à ces orientations-ci: d’abord l’aide des riches par
une collecte et par quelques initiatives particulières; puis des prêts par la
fabrique pour l’ensemencement et la répartition de la quête de l’Enfant-Jésus
en faveur des pauvres; enfin, peut-être un don de la fabrique, les trois
derniers moyens nécessitant une résolution de fabrique. La Saint-Vincent de
Paul, bien que déjà fondée à Paris en 1823, serait instaurée dans le Bas-Canada
seulement le 12 novembre 1846. Elle deviendrait le moyen privilégié grâce
auquel les paroissiens de chaque milieu s’entraideraient financièrement.
Des projets sourdaient aussi d’individus
bienveillants, sinon sous l’influence, du moins avec la participation d’un
prêtre. En décembre 1808, une souscription fut envisagée à Québec, moyennant
l’approbation des évêques catholique et anglican. L’argent recueilli servirait
à l’achat de bois de chauffage pour les indigents des deux Églises, à raison
des deux tiers pour les catholiques et d’un tiers pour les anglicans. En 1817,
à Montréal, un comité spécial de dix hommes, incluant entre autres un pasteur
de chacune des grandes Églises chrétiennes, fut constitué par une assemblée de
personnes, préoccupées de prendre les mesures nécessaires pour soulager la
misère de nombreux citoyens.
Dans un article de la Gazette de Québec,
on avait lu en 1815 que la société avaient suffisamment évolué pour se
rendre compte que le soutien des pauvres n’était pas seulement un «devoir
religieux», mais aussi une «obligation légale». Et l’auteur ajoutait: «Les
maisons d’industrie sont un excellent moyen d’enrayer le mal des pauvres» 16. On se référait à
un projet développé par «Les deux amis» les 18 février 1807 dans Le Courrier
de Québec; ils y promouvaient l’existence de maisons de travail où les
pauvres trouveraient de l’emploi et de maisons de correction où les oisifs et
les vagabonds seraient forcés de travailler. Le plan comportait un ensemble de
bâtiments où ces deux catégories de personnes seraient distinctes et
subdivisées selon leur sexe. Ce projet à la fois philantropique et évangélique
avait pour buts de remplir les devoirs d’aide humanitaire ou charitable, de
rectifier les moeurs et d’enseigner aux infortunés les moyens de gagner
honnêtement leur vie. L’établissement proposé consisterait en une école
d’industrie.
L’idée fit son chemin. Une maison
d’industrie fut fondée pour les pauvres de Montréal en 1819. La corporation
s’engagea «à procurer de l’emploi à tous les pauvres, industrieux, qui n’en
pourront trouver ailleurs et qui voudront se présenter pour en avoir» 17; on retenait donc
seulement la première catégorie des gens visés. Par ailleurs, à partir de ce
jour, on appliqua le règlement municipal de ne plus mendier dans les rues. La
générosité des citoyens, au lieu de s’exprimer auprès des mendiants, pourrait
ainsi s’orienter vers cette nouvelle oeuvre sociale, pour laquelle les biens
légués par le fondateur, Conrad Marsteller, ne suffisaient pas. Une collecte
domiciliaire eut lieu du ler au 19 juillet et le système de collecteurs de
quartier subsisterait fort longtemps, sans compter les quêtes faites dans les
églises de la ville. Au début d’octobre, la nouvelle institution avait porté
les fruits escomptés. Les vagabonds étaient disparus des rues, alors que les
vrais pauvres subvenaient à leurs besoins par le travail. Beaucoup plus tard,
le 16 décembre 1836, on compterait 181 personnes admises pour l’hiver à la
maison d’industrie: 85 Canadiens, 72 Irlandais, 12 Anglais, 9 Écossais, 2
Italiens ou, d’un autre angle: 39 femmes, 51 hommes, 44 garçons, 30 filles, 14
nourrissons. En février 1838, 900 personnes recevaient un secours journalier
de la part du comité responsable de la maison d’industrie, à laquelle s’était
joint un service de dépannage.
Cette oeuvre suscita d’autres initiatives
semblables. En décembre 1828, les Sulpiciens convoquèrent des citoyens et ils
déterminèrent ensemble les moyens de secourir les pauvres pendant les mois
suivants. Il fut décidé qu’une souscription serait ouverte et que le produit
servirait à payer les pauvres qui casseraient la pierre offerte gratuitement
par les magistrats pour macadamiser les rues de Montréal. La pierre cassée
serait achetée par les dirigeants de la ville et l’argent ainsi obtenu serait
utilisé l’année suivante pour salarier les pauvres qui s’adonneraient à un
travail similaire. On s’aperçut cependant que ces indigents manquaient de
vêtements pour travailler au froid. Un porte à porte fut alors organisé et l’on
remédia à ce problème.
À l’approche de 1830 surgirent à divers
endroits des associations de Dames de la charité. À Montréal, elles tinrent
leur première assemblée en décembre 1827 sous la présidence de la baronne de
Longueuil et avec l’appui des Sulpiciens. Leur objectif consista à secourir les
malheureux pendant les rigueurs de l’hiver. Dons, souscriptions, collectes
apparurent comme les premiers moyens de mener à bien cette initiative
évangélique; dès l’année suivante, les bazars deviendraient une source
importante de revenus. L’exemple de Montréal fut suivi à Québec, en particulier
dans la paroisse Saint-Roch, à Saint-Jean en 1832, à La Malbaie et à Rimouski
en 1837. On souhaitait voir s’instaurer partout une association des Dames de la
charité. «L’on y verrait disparaître en peu de temps l’indigence et les
conséquences funestes dont elle n’est malheureusement que trop souvent la
cause et la source» 18.
La persévérance de l’une des associées de
Montréal, Émilie Tavernier, connue sous le nom de veuve Jean-Baptiste Gamelin,
auprès des femmes âgées ou infirmes (elle en accueillit vingt-huit en 1837 et
trente-deux en 1840), la réapparition de l’Oeuvre de la soupe à Montréal, qui
rendrait service à neuf cents pauvres en 1838, le succès financier (450 £) du
bazar de 1837 dans la paroisse Saint-Roch à Québec au profit des douze cents
pauvres dont s’occupait le curé David Têtu ressortent comme des signes d’une
grande pratique de la charité chrétienne envers les pauvres. L’apport des
femmes y étaient prédominant.
III. EN FAVEUR DES
MARGINAUX
1. Les délaissés
À Québec, les Dames de la charité
s’occupèrent dès 1828 de trouver un refuge aux orphelins. En 1832, elles
quêtèrent tous les effets et articles pouvant servir à ces jeunes. À Montréal,
les dames s’ajustèrent elles aussi aux besoins; elles établirent en 1832 un
hospice pour les orphelins du choléra; il s’en trouvait déjà quarante le 29
octobre. Ils y étaient instruits et finalement placés chez d’honnêtes gens. On
se préoccupait aussi des 172 veuves et de leurs 520 orphelins qui demeuraient
à domicile et qui auraient besoin de vêtements et de nourriture durant l’hiver
1832-1833.
Le placement des orphelins dans des
familles d’adoption s’effectuait avec respect et attention. Le curé Baillargeon
de Québec n’envoya pas six orphelins à la Rivière-Ouelle, sans que le curé de
l’endroit ne lui transmît préalablement le nom de chaque famille d’accueil et
le désir de chacune d’avoir un garçon ou une fille. Uné pièce d’identité accompagnait
chacun des jeunes, afin que l’on n’oubliât pas son origine.
Les Dames de la charité de Québec en
arrivèrent à sectionner leurs oeuvres. L’une s’appela la Société charitable
pour le soulagement des orphelins. Le 30 juin 1834, la résidence transitoire de
ces derniers en comptait vingt-quatre. Un local fut acheté le 5 novembre
suivant; il servirait aussi d’école pour les petites filles indigentes.
Compte tenu de l’analphabétisme fort
répandu (78,000 signatures étaient des croix sur les 87,000 qui étaient
apposées au bas de la requête contre le régime Dalhousie en 1827), des
Montréalais projettent en 1831 de constituer avec la collaboration de
l’ecclésiastique Amable Daniel Duchaîne et sous les auspices de Mgr
Lartigue «une institution qui aura pour objet de donner aux ouvriers canadiens
une instruction qui puisse leur donner plus d'avantages dans l’exercice de
leurs métiers et dans la conduite de leurs affaires» 19. L’évêque prêta
des locaux de sa nouvelle maison pour que s’y établît une école d'arts et
métiers. La compétence de Duchaîne, âgé de 58 ans, était reconnue par le gouvernement,
du moins pour la construction des ponts. Bien qu’il ne fût jamais ordonné
prêtre, il enseigna gratuitement aux jeunes gens en arts mécaniques et il en
aida d’autres «à exercer leurs arts et métiers respectifs avec plus
d’avantages pour eux-mêmes et pour la société» 20.
Parmi les analphabètes se trouvaient les
sourds-muets. Leur initiation aux sacrements requérait déjà une attention
particulière de la part des prêtres. La grammaire de l’abbé Sicard, dont le
seul exemplaire circulait entre l’évêché et telle ou telle paroisse, servait
d’instrument d’évangélisation en même temps que d’éducation de ces personnes
handicapées. Une institution s’ouvrit à Québec le 15 juin 1831 sous la
direction d’un certain Macdonald, grâce à la générosité financière de divers
bienfaiteurs. Le gouvernement se dit prêt à s’en occuper, une fois qu'un
recensement aurait été réalisé. On compta 393 sourds-muets dans le Bas-Canada à
la fin de 1831. Alors que l’initiative de Québec avait finalement suscité
l’ouverture d’une résidence gouvernementale, une autre surgit du Séminaire de
Saint-Hyacinthe. Les sourds-muets y furent accueillis en 1836 dans une classe
spéciale, aux mêmes conditions que les autres élèves. Le Canadien soutint
que ce service coûterait ainsi beaucoup moins cher au gouvernement, s’il
voulait y contribuer, que sa propre institution, et que ce serait beaucoup plus
efficace que les tentatives antérieures.
Dans toute société, les prostituées
constituent un groupe marginal particulier. Huguette Latour-McDonnell, pieuse,
respectable et industrieuse, instaura à Montréal en 1829, avec l’avis et
l’appui de Mgr Lartigue, une maison pour «les femmes ou filles
publiquement débauchées, qui veulent se convertir». Un an plus tard, elle
abritait «plus de trente de ces créatures, qui se conduisent bien, gagnent leur
vie en travaillant» 21. Les Sulpiciens y assuraient le ministère
pastoral. Une loi d’incorporation de cet Institut des filles repenties fut voté
en mai 1833 et sanctionné à Londres l’année suivante. À l’occasion d'une visite
à Québec, la directrice reçut entre autres dons pour son oeuvre la somme de £20
des mains de Mgr Signay.
Au printemps 1836, il s’y trouvait
cinquante-deux filles, certaines y étant depuis quelques années. Trois cents
femmes y avaient séjourné depuis sept ans.
Un bien petit
nombre, écrivait La Minerve à ce sujet, en sont sorties pour retourner
au vice... beaucoup sont retournées dans leur famille, dont elles ont fait
l’exemple et qui sont maintenant des femmes vertueuses... Souvent une
malheureuse jeune fille est jetée dans le vice par la misère, par une faiblesse
dont elle ne calcule pas les conséquences... La société entière semble les
rejeter.
Un asile était
indispensable; or il existait. «Nous appelons de nouveau le public, poursuivait
La Minerve, à seconder» Mme McDonnell «dans ses efforts, jusqu’à ce que
l’établissement ait quelques fonds avec lesquels il puisse se soutenir à l’aide
du travail des filles» 22. Les hommages fusaient de toutes parts en faveur
de cette oeuvre. Un journaliste de L’Ami du peuple, de l’ordre et des lois, invité à visiter
l’institution, révisa tous ses préjugés sur les organismes de charité et en
arriva à écrire ce qui suit:
Il existe des
personnes... qui dans le silence et sans ostentation portent du secours aux
maisons infortunées, où se trouve le malade sans secours, l’orphelin abandonné
et la pauvre veuve souffrant les douleurs de la faim... J’ai cru pendant
quelque temps que les protestants étaient les vrais dispensateurs de la Charité
et que les catholiques ne la faisaient qu’en jetant des sols aux vagabonds
nombreux qui parcourent nos rues. 23
L’oeuvre si bien
cotée ne disparut pas moins le 22 juin 1837, faute d'argent. Elle avait rendu
de grands services.
Et qu’en était-il des prisonniers? Les
journaux rapportent surtout les punitions publiques, en particulier les
pendaisons. Le Courrier de Québec décrit ainsi les derniers moments des
prisonniers exécutés.
Ils pleurent,
crient et prient Dieu toute la journée... Ils communient avant d’aller à
l’échafaud et s’y avancent la corde au cou, un bonnet sur la tête et un bouquet
au côté, exhortés par des ministres de leur religion, même par des prêtres
catholiques, et chantant des hymnes. 24
La Gazette des
Trois-Rivières relève l’exemple d’un jeune, mort « avec beaucoup de
pénitence et de résignation. On ne saurait trop admirer la constance et la
charité du digne prêtre qui depuis six semaines s’est occupé sans relâche à le
préparer à sa triste fin» 25
Charles Alarie et Thomas Thomas, assistés
par des prêtres de la cure de Québec, «moururent repentants, sollicitant les
prières du concours nombreux assemblé à cette occasion et les exhortant à
éviter les voies qui les avaient amenés à une fin aussi prématurée» 26, à cause du vol
d’un bateau dans le port. Un motif fréquent d’exécution était le vol, surtout
quand il s’agissait d’un vol sacrilège.
Vers 1830 se constitua à Québec une
institution charitable qui promouvait «l’éducation et l’industrie parmi les
personnes renfermées dans les prisons» et leur inculquant «les préceptes de la
morale et de la religion»; cela produisit «de grands biens» 27, À Montréal, Mgr
Lartigue insista auprès du supérieur des Sulpiciens pour qu’un prêtre célébrât
la messe dominicale à la prison. À la suite des troubles de 1837 et de 1838, Mgr
Bourget se soucia de visiter lui-même les prisonniers, tout en ayant à coeur de
soulager la misère des pauvres familles, privées d’un époux et d’un père. Mgr
Lartigue invita en vain les dirigeants gouvernementaux à libérer les
prisonniers politiques. Une fois plusieurs d’entre eux exilés aux Bermudes et
en Australie, il intervint efficacement auprès du vicaire apostolique de Sydney
pour qu’il s’occupât de ceux qui étaient expatriés en ce dernier pays. Mgr
Bourget insista pour sa part auprès de Londres en faveur du retour de tous les
exilés, qui s’effectua de fait peu après.
L’évêque auxiliaire de Montréal tira profit
de son ministère carcéral pour indiquer au gouverneur Colborne des points de
réforme à la prison de Montréal: classer soigneusement les incarcérés; empêcher
la communication entre les jeunes et les vieux, entre les grands criminels et
les fautifs occasionnels; assurer une cellule séparée et fermée à chaque prisonnier,
du moins la nuit; faire travailler les prisonniers selon leur capacité;
empêcher les prostituées d’aller et venir dans les prisons.
Mgr Bourget s’intéressa aussi
aux aliénés mentaux. «Il est bien honteux et scandaleux pour une ville riche
comme Montréal de n’avoir pas un asile pour des êtres si malheureux». En
attendant que la Législature y pourvût, il demanda à la supérieure de
l’Hôpital-Général de leur aménager des appartements, d’autant plus que «la
religion est faite pour subvenir à toutes les misères de la pauvre humanité» 28. Cette nouvelle
oeuvre ne tarderait pas à produire ses fruits.
2. Les migrants
L’immigration vint surtout de la Grande-Bretagne. Déjà en 1818,
des catholiques étrangers arrivaient par milliers, en particulier de l’Irlande.
Le comité des émigrants de Montréal requit la collaboration des pasteurs de
chaque dénomination religieuse, pour procurer du travail à des domestiques des
deux sexes, des journaliers et autres travailleurs immigrants. À l’automne
1820, Mgr Plessis invita tous ses curés par une lettre circulaire à
placer au moins une famille irlandaise dans leur paroisse. «Ces pauvres gens
périssent de froid et de misère dans les rues» 29. L’accueil fut réticent, car des
paroissiens d’un peu partout ainsi que des curés discernaient plus
d’inconvénients que d’avantages à l’arrivée d’étrangers dans leur milieu.
La décennie de 1830 connut une recrudescence d’immigration
irlandaise. De 1829 à 1835 inclusivement, entrèrent dans le Bas-Canada 128,578
Irlandais sur un total d’immigrants britanniques de 211,159. Ils s’établirent
plutôt dans les cantons et dans les villes, où s’effectuaient de grandes
entreprises publiques, tel le creusage de canaux. Ces immigrants, trompés dans
leur pays d’origine sur ce qui les attendait en Amérique, se trouvaient
généralement dans des conditions inhumaines de travail et de logement. Le
clergé se préoccupa de leur assurer des célébrations dominicales propres à eux,
à Québec, Trois-Rivières, Chambly, Beauharnois. Les évêques favorisèrent aussi
le regroupement des Irlandais, en vue de rendre possibles et viables leurs
liens fraternels et communautaires. La Société des émigrants, qui se constitua
de façon oecuménique en juillet 1831 à Montréal, compta parmi ses membres des
représentants de Mgr Lartigue. Son double objectif consistait à
soulager les immigrés en détresse et à les envoyer dans différentes parties de
la province. Il s’agissait là d’une oeuvre plus nécessaire et mieux organisée
qu'ailleurs, quoique généralisée dans l’ensemble de la province.
Par contre, des habitants d’origine
canadienne quittaient leur pays. Déjà vers 1808-1810, des curés entretenaient
leurs évêques sur les malheureux effets du travail saisonnier de nombreux
jeunes gens aux États-Unis. Le phénomène d’émigration débuta surtout en 1837
et en 1838, compte tenu de la crise agricole, commerciale et politique qui
sévissait alors dans le Bas-Canada. L’arrivée des immigrants britanniques n’y
était pas étrangère. Mgr Bourget saisit tout de suite la gravité du
problème.
Dès l’été 1839, l’évêque de Montréal
recensa avec l’aide de ses curés le nombre de leurs paroissiens francophones
partis vers le pays voisin depuis l’automne précédent. Il apparut que le
phénomène n’était pas encore grave et qu’il se limitait en bonne partie à des
hommes qui s’y rendaient au printemps pour travailler et qui en revenaient à
l’automne. Mais l’objectif de l’opération était tronqué, car le gouverneur
Colborne cherchait à savoir par ce biais combien de Canadiens se trouvaient
outre frontières parce qu’ils avaient participé aux troubles ou qu’ils
envisageaient de se soulever de nouveau. De la paroisse d’Iberville, l’une des
plus marquées par l’émigration, le curé répondit que cent soixante-quatre
individus étaient rendus aux États-Unis depuis l’automne 1838, dont
trente-quatre familles. Les uns y étaient allés pour gagner leur vie, d’autres
s’étaient éloignés de diverses vexations, enfin certains craignaient des
châtiments bien mérités de la part du gouvernement. Seules trois ou quatre
familles se proposaient cependant de ne plus revenir.
La réponse de Pierre-Marie Mignault, curé
de Chambly, fut plus explicite que celle des autres curés, étant donné son
expérience de missions qu’il accomplissait annuellement auprès des émigrés
canadiens. «La cause de cette émigration serait le haut prix qu’on offre». On
pourrait prévenir cette saignée en allouant aux Canadiens des terres dans les
cantons et de quoi subsister deux ou trois ans. Il faudrait aussi y construire
des chemins qui rejoindraient les grandes routes. Selon lui, plusieurs milliers
de Canadiens avaient déjà émigré du Bas-Canada, en particulier vers Chicago.
Pour la plupart, il s’agissait de journaliers, mais on y comptait aussi des
cultivateurs et des menuisiers. «Les moeurs s’y perdent, la santé n’y gagne pas
et les Canadiens qui reviennent sont souvent plus pauvres», malgré leur «air
d’indépendance, de suffisance et d’orgueil qui leur sied assez mal» 30
Le phénomène de la migration prendrait de
l’ampleur; le clergé continuerait de suppléer tant bien que mal aux lacunes et
aux méfaits des politiques gouvernementales.
3. Les alcooliques
Les Sociétés de tempérance, instaurées aux
États-Unis en 1827, se propagèrent en Angleterre l’année suivante et
s’élevaient déjà à une centaine dans le Haut-Canada en 1831. Cette année-là,
une association se fonda à Québec, composée surtout de membres anglophones,
comme cela avait été le cas à Montréal trois ans plus tôt. Le Canada Temperance
Advocate parut à partir du ler mai 1835, sans lien avec une Église ou un parti
politique. Son éditeur avait tout de même demandé l’appui de Mgr
Lartigue. À Sherbrooke, en 1837, se constitua la Irish Philantropic Society, dont les membres
s’empêchaient de boire toute liqueur spiritueuse.
Charles Chiniquy, nommé curé à Beauport en
1838, constata que la plupart des habitants étaient réduits à la pauvreté à
cause des boissons alcooliques. Il affirma qu’une valeur de 40 000 £ avaient
été perdue en propriétés par les paroissiens à cause de leur intempérance. Il y
fonda une Société de tempérance le 29 mars 1840. L’année suivante, les sept
auberges avaient fait place à sept écoles et douze cents personnes faisaient
leurs pâques au lieu des trois cents de 1838. Chiniquy fut aussi l’auteur d’une
carte de tempérance imprimée, sur laquelle étaient écrits le nom de l’associé,
la date de son engagement à l’abstinence et la signature du puré. D’autres
prêtres prêchèrent la tempérance avec succès: Pierre Beaumont, Michel Duchesne,
David-Henri Têtu, Alexis Mailloux et Édouard Quertier, de qui est venue l’idée
de la croix noire.
La formule d’engagement, propagée par
Chiniquy, consistait en celle-ci:
Je m’engage
solennellement et publiquement d’éviter l‘intempérance et de ne jamais
fréquenter les cabarets. Je ne ferai jamais usage de boissons fortes sans une
absolue nécessité; et si pour devenir tempérant il me faut renoncer à toute
espèce de boissons, je m’y engage; je promets aussi de faire tout en mon pouvoir
par mes paroles et par mes exemples, pour que mes parents et mes amis en
fassent autant. 31
En 1841, le curé va
plus loin et propose aux plus courageux de s’abstenir même de la bière et du
vin, ce que signèrent huit cent douze des treize cents paroissiens, ayant l’âge
de raison et déjà engagés dans la tempérance.
Les sociétés incluaient deux ordres: celui
de l’abstinence complète et celui de l’abstinence partielle. Le président de
chacune des sociétés devint de plus en plus souvent le curé de la paroisse. Le
clergé s’était mis à la tête de cet élan populaire, ce qui en garantissait le
succès selon un rédacteur de L’Aurore des Canadas. L’expansion du mouvement
fut favorisé par la prédication de Mgr de Forbin-Janson. Les cartes
de tempérance arboraient en exergue les fruits de la tempérance : «bonheur
domestique, santé de l’âme et du corps, félicité éternelle» et ceux de
l’intempérance: «ruine des familles, pauvreté, infirmité, crime, folie, mort
prématurée, mort éternelle» 32. L’amélioration générale de la société s’en
ressentit grandement.
CONCLUSION
Alors que le clergé cherchait à rendre
service à de nombreuses personnes défavorisées et qu’il le faisait par souci
évangélique, la situation sociale du Bas-Canada se transformait beaucoup. Des
conflits ouvriers, tel celui du canal de Lachine, se déclarèrent peu après
1840. Les patrons et les ouvriers se tiendraient tête de plus en plus fréquemment.
Mais les misères humaines subsisteraient et la société tarderait à y remédier.
L’Église, sans cesse confrontée avec des personnes marquées par ces problèmes,
demeure accueillante à tous les déshérités. Le clergé et les communautés
religieuses continueraient d’instaurer les institutions jugées nécessaires pour
aider ces derniers. Il en ressortirait une pastorale caritative mieux
organisée. Les dirigeants politiques ne se presseraient d’ailleurs pas de
préciser et de réaliser ce qui relevait d’eux dans le domaine de la promotion
humaine.
Lucien
LEMIEUX, prêtre
Diocèse de
Saint-Jean-Longueuil
Saint-Hubert
1AAQ (Archives de
l’archevêché de Québec), 61 CD, Les Éboulements, 1, 5 mars 1817, à Joseph-Octave
Plessis, évêque de Québec.
2ACAM (Archives de
la chancellerie de l’archevêché de Montréal), 295.099, 827-3, 15 nov. 1827,
Pierre Viau à Thomas Pépin, curé de Saint-Pierre-les-Becquets.
3ACAM, 901.114,
803-1, 13 juin 1803, Jean-Henry-Auguste Roux à Plessis.
4AAQ, RL (Registre
des lettres), 3, 242, 8 août 1803, à Roux.
5Spectateur canadien, 1 nov. 1817.
6AAQ, RL, 9,
166, 4 juin 1817, Plessis à Joseph-Norbert Provencher, curé à Kamouraska.
7La Minerve.
8ACAM, 780-034,
832-3, 4 avril, D. Daby, secrétaire de la province du BasCanada.
9ACDL (Archives du
Centre diocésain à Longueuil), St-Constant, I, 834-2, 26 août, Jean-Olivier
Chèvrefils à Lartigue.
10La Minerve, 22 mars 1830.
11Le Canadien, 29 mai 1840.
12AAR (Archives de
l’archevêché de Rimouski), Trois-Pistoles, 1834-1835, 6 févr. 1834,
Louis Théophile Fortier, curé, à Plessis.
13AAR, Carleton,
1, 27 sept., Louis Stanislas Malo à Charles-Félix Cazeau, secrétaire de
l’évêque de Québec.
14AAR, Cacouna,
1835-1849, 6 mai, Édouard Quertier, curé, à Cazeau.
15ACDL, St-Luc,
I, 813-2, 3 avril, à Plessis.
16La Gazette de
Québec, 26 janv. 1815.
17L’Aurore, 29 mai.
18La Minerve, 19 nov. 1832.
19ACAM, 901.026,
831-1, 29 nov., Duchaîne à Lartigue.
20Ibid. , 832-2, 15
janv., Avis public.
21ACAM, RLL
(Registres de lettres de Mgr Lartigue), 5, 352, 27 oct. 1830, à
Panet.
22La Minerve, 2 mai 1836.
23L’Ami du peuple, de
l’ordre et des lois, 7 mai 1836.
24Le Courrier de
Québec, 24 août 1818.
25La Gazette des
Trois-Rivières, 3 nov. 1818.
26La Gazette de
Québec, 3 nov. 1818.
27L’Écho du pays, 7 janv. 1836.
28ACAM, RLB,
1, 125, 20 déc. 1837, à Rév. Mère Beaubien.
29Desbras, Les Irlandais
dans Sainte-Anne-du-Sud, dans BRH, 28, 10 (oct. 1922) p. 289.
30ACDL, St-Joseph
de Chamblv I. 849-1. 5 mars. à Bourget.
31Trudel, Marcel, Chiniquy,
Trois-Rivières, Éditions du Bien Public, 1955, p. 32.
32ASQ, Lettres-Carton
W, 30, 22 déc. 1840, description d’une carte de tempérance.