S.C.H.E.C., Sessions d’étude, 50 (1983), 183-199

 

 

Les relations Église-État
dans le domaine de l’enseignement primaire public
au Québec: 1867-1899

 

 

      Trois moments dominent l’histoire des rapports Église-État dans le secteur de l’enseignement primaire public pour la période de 1867-1899: la création d’un Ministère de l’Instruction publique en 1867, son aboli­tion en 1875 et la tentative effectuée pour le rétablir en 1897. L’enjeu est évidemment le même dans les trois cas: il s’agit du contrôle de l’État sur l’école primaire qui, chargée de la formation des jeunes esprits, constitue un lieu privilégié d’inculcation et de reproduc­tion idéologiques.

     L’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, on le sait, confia aux provinces une juridiction exclusive en matière d’éducation. En 1867, le nouvel État québécois était donc libre de formuler des politiques éduca­tives et de diriger le système scolaire public qui avait graduellement été mis sur pied après l’union des deux Canadas en 1840. Les diri­geants politiques ne pourraient toutefois passer outre aux demandes ou réclamations du clergé qui, de son côté, avait fait sous l’Union des gains substantiels dans le domaine de l’instruction publique. La législation scolaire adoptée au cours des années 1840 et 1850 accentua en effet le caractère confessionnel de l’école primaire et conféra des avantages considérables aux membres du clergé. Elle leur réserva ainsi le droit d’être élus commissaires d’écoles et de choisir les manuels scolaires de caractère moral et religieux. Elle exempta aussi les enseignants religieux de l’examen d’aptitudes imposé aux instituteurs laïcs. Enfin, des mem­bres du clergé furent appelés à siéger au Conseil de l’Instruction publi­que lorsque celui-ci fut créé en 1859. D’autre part, le régime des commissions scolaires établi durant la décennie 1840 réduisit l’autorité de l’État dans le secteur éducatif. La gestion des écoles publiques fut d’abord enlevée aux conseils municipaux dont les principaux adminis­trateurs étaient nommés par le gouvernement. Mais surtout, ce régime, qui allait rester en vigueur pendant plus d’un siècle, engagea l’adminis­tration scolaire du Québec dans la voie d’une décentralisation poussée, les autorités locales étant investies de pouvoirs considérables: construc­tion et visite des écoles, perception des taxes, élaboration des règlements scolaires et du cours d’études, engagement et destitution des maîtres, etc.

     Bref, à la veille de la Confédération, l’Église avait nettement renforci sa position dans le domaine scolaire. Le zèle déployé à cette fin par les chefs ecclésiastiques indiquait que ces derniers entendaient exercer un contrôle décisif sur l’éducation des classes populaires. Cet objectif était poursuivi avec le plus de vigueur par l’aile intransigeante de l’épiscopat, dirigée successivement par Mgr Lartigue et Mgr Bourget, tous deux évêques de Montréal. Dès 1836, Mgr Lartigue avait exposé à Mgr Turgeon, de Québec, le but que désiraient atteindre les clercs intransigeants: il fallait faire en sorte que «le clergé s’empare, comme de droit, de l’éducation du Peuple» 1.

     Or voici qu’en 1867, le gouvernement conservateur de Pierre Chau­veau décide d’établir un Ministère de l’Instruction publique, geste audacieux puisque aucune autre province canadienne ne possède alors un tel ministère. Cette mesure, qui était inscrite au programme du parti conservateur, démontre l’importance qu’on accorde alors aux questions éducatives. Le discours du trône prononcé par le gouvernement en 1867 affirme en effet que le progrès de l’instruction publique constitue, après l’élément religieux, « le signe évident auquel se reconnaissent les nations vraiment civilisées» 2. Pierre Chauveau a d’ailleurs occupé le poste de surintendant de l’Instruction publique de 1855 à 1867; on ne s’étonnera donc pas de voir ce dernier cumuler les fonctions de premier ministre et de ministre de l’Instruction publique. La création d’un ministère in­dique, d’autre part, que les dirigeants du nouvel État québécois ne craignent pas de mettre le pouvoir politique au service de l’éducation. Leur position est celle des conservateurs modérés, dirigés à l’époque par George-Étienne Cartier. Chauveau est en fait lié d’amitié avec Car­tier, qui a sans doute inspiré le choix de l’ancien surintendant comme premier ministre du Québec 3.

     En raison de l’alliance qu’elle a contractée sous l’Union avec les conservateurs francophones et des rapports harmonieux qu’elle a déve­loppés avec Chauveau durant sa carrière de surintendant, l’Église ne s’élève pas officiellement contre la création d’un Ministère de l’Instruc­tion publique. L’épiscopat obtient toutefois que soit insérée dans le projet de loi établissant le ministère une disposition laissant au gouver­nement la faculté de nommer, selon les circonstan­ces, soit un ministre, soit un surintendant. Les évêques, expliquera plus tard Chauveau, craignaient «qu’il y ait un ministère où l’on ne put trouver un ministre de l’Instruction publique donnant toutes les garanties suffisantes et ils voulurent qu’on y insère la faculté d’avoir un surin­tendant» 4. Même si les évêques s’étaient jadis inquiétés des pouvoirs considérables conférés au surintendant de l’Instruction publique, ce der­nier était moins menaçant qu’un ministre puisqu’il était, dans les mots de Chauveau, un « fonctionnaire étranger à la politique» 5

     En plus de rassurer l’épiscopat sur ce point, Chauveau conserve le Conseil de l’Instruction publique, au sein duquel siègent des membres du clergé. Bien plus, une loi scolaire adoptée en 1869 améliore la position de l’Église au sein du Conseil. Elle divise d’abord ce dernier en deux Comités, catholique et protestant, accentuant ainsi de nouveau la confessionnalité de l’enseignement primaire public. La loi assure ensuite au clergé une plus forte représentation au sein du Conseil, cinq des neuf membres du Comité catholique étant des ecclésiastiques.

     Responsable de l’organisation pédagogique de l’enseignement pri­maire, le Conseil de l’Instruction publique joue un rôle important. Or, après sa réorganisation en 1869, cet organisme prend graduelle­ment l’initiative dans la formulation et la révision des politiques sco­laires et se transforme peu à peu en un rival de taille du ministre de l’Instruction publique. Cette évolution est accélérée par la démission de Chauveau comme premier ministre en 1873, ses successeurs immé­diats, Gédéon Ouellet et Boucher de Boucherville, ne possédant ni l’expérience ni les qualifications du premier titulaire 6. Cette évolution est également encouragée par deux groupes de pression dont les chefs de gouvernement doivent tenir compte. Il s’agit, d’une part, des conser­vateurs ultramontains, qui s’opposent au groupe des modérés et qui ren­forcent peu à peu leur emprise au sein du parti conservateur. Prônant la suprématie de l’Église sur l’État, les ultramontains ne peuvent évi­demment tolérer l’existence d'un Ministère de l’Instruction publique, qu’ils dénoncent comme un organisme «vicieux» puisqu’il a été placé «sous la seule juridiction et dépendance de l’État» 7. Le Programme catholique qu’ils publient en 1871 fait le procès des lois scolaires de la province, lesquelles blessent les droits de l’Église et gênent sa liberté d’action 8. D’autre part, les porte-paroles de la minorité anglo-protes­tante désirent obtenir pour leurs coreligionnaires une plus grande liberté dans la direction des affaires scolaires. Mais il ne peut être question d’avoir deux ministres de l’Instruction publique et le gouvernement refuse également d’employer deux surintendants 9.

     En 1875, le premier ministre Boucher de Boucherville tente de donner satisfaction tant aux ultramontains qu’aux protestants. Il fait alors adopter une loi scolaire qui aura des conséquences profondes sur l’évo­lution du système éducatif québécois. Cette loi remplace le ministre de l’Instruction publique par un surintendant qui sera désormais responsa­ble, non pas à l’Assemblée législative, mais aux deux Comités du Con­seil de l’Instruction publique. La loi consacre aussi l’autonomie des Comités catholique et protestant, qui auront chacun la tâche de régir les écoles primaires de leurs coreligionnaires respectifs. Cette mesure nom­me enfin chaque évêque membre de droit du Comité catholique, pourvu que son diocèse soit situé en tout ou en partie dans la province de Québec.

     Cette dernière clause confère évidemment à l’Église une influence considérable dans la direction de l’enseignement primaire catholique et on a généralement interprété la loi de 1875 comme une démission totale de l’État dans le champ éducatif. Elle donne certes satisfaction à l’en­semble de l’épiscopat, qui désirait placer l’éducation à l’abri de la poli­tique et des luttes partisanes. Le premier ministre, que l’on surnomme le «Jésuite laïque» a d’ailleurs pris soin de consulter les évêques avant de soumettre son projet de réforme scolaire à l’Assemblée législative. Un examen attentif de la loi révèle cependant que le pouvoir politique ne s’est pas retiré complètement de l’enseignement primaire. La loi réserve en effet à l’État la nomination du surintendant de l’Instruction publique, des professeurs des écoles normales, des officiers du Dépar­tement de l’Instruction publique, organisme administratif à la tête duquel se trouve le surintendant, et, enfin, des membres laïcs du Comité catholique. Elle prévoit aussi que dans l’accomplissement de leurs de­voirs, les membres du Conseil de l’Instruction publique seront sujets aux ordres et aux instructions que leur adressera le lieutenant-gouverneur en conseil et que tous les règlements édictés par les deux Comités du Conseil seront aussi sujets à l’approbation de ce dernier. De plus, la loi scolaire de 1875 n’ayant rien de spécifiquement intangible, le pouvoir de l’Assemblée de légiférer dans le domaine scolaire reste intact. Enfin, le texte de loi ne contient aucune déclaration de principes con­cernant les droits de l'Église en matière d’éducation. Mgr Laflèche, évê­que de Trois-Rivières et nouveau chef de file des clercs intransigeants, avait signalé cette absence peu de temps avant l’adoption du projet de loi. Il avait alors demandé que la direction des écoles publiques soit explicitement reconnue comme une mission de droit de l’Église, et non comme une responsabilité dévolue aux évêques par l’autorité civile 10

     Si, par ailleurs, on confronte la loi avec les suggestions émises par Mgr Jean Langevin, évêque de Rimouski et conseiller du premier ministre, on s’aperçoit que le législateur n’a pas répondu à toutes les attentes du prélat. Mgr Langevin avait proposé que le Conseil de l’Ins­truction publique soit investi de tous les pouvoirs sur le plan adminis­tratif, y compris celui de nommer les officiers du Département de l’Instruction publique, les professeurs des écoles normales et les mem­bres laïcs du Comité catholique. L’évêque de Rimouski avait demandé aussi que le Conseil soit responsable de la présentation au gouverne­ment du budget affecté à l’enseignement primaire, responsabilité que la loi de 1875 confiera au surintendant de l’Instruction publique 11.

     Il faut souligner, enfin, les réserves sérieuses exprimées par Mgr Bourget quant à la position occupée par les évêques au sein du Comité catholique. D’après l'évêque de Montréal, ces derniers ne devaient pas «être rangés par la loi parmi les officiers du gouvernement», ni se trou­ver sur un pied d’égalité avec des laïcs, ni être placés sous la prési­dence d’un surintendant qui pourrait fort bien être un protestant ou un catholique «hostile à l’autorité ecclésiastique» 12. Les sombres prévisions de Mgr Bourget ne se réaliseront pas, mais il reste que le pouvoir civil s’est réservé en 1875 les moyens de faire sentir sa présence. Alors qu’il affirmait vouloir placer l’école à l’abri des influences dommageables de la politique, Boucher de Boucherville nomme comme surintendant l’ex-premier ministre du Québec, Gédéon Ouimet. En 1895, Ouimet est remplacé par un autre homme politique, Pierre Boucher de La Bruère, qui a assumé pendant plusieurs années la présidence du Conseil législatif. De plus, les gouvernements qui se succèdent après 1875 ne manquent pas de nommer au Comité catholique des membres influents du parti au pouvoir. En 1887, Honoré Mercier, alors premier ministre du Qué­bec, créera un précédent en venant lui-même prendre place au Comité.

     En somme, la loi scolaire de 1875 constitue une sorte de concordat scolaire, issu d’une transaction conclue entre l’épiscopat, le gouverne­ment Boucherville et la majorité conservatrice de l’Assemblée. L’histoire éducative du Québec dans le dernier tiers du XIXe siècle montre bien, en fait, que cette mesure n’a pas réglé de façon définitive la question des droits respectifs de l’Église et de l’État dans le domaine de l’en­seignement primaire. La décennie qui suit l’adoption de la loi est mar­quée, au contraire, par des débats retentissants axés sur ce problème vital 13. Ils atteignent une telle intensité que Rome sera priée d’inter­venir. Ces querelles éclairent l’historien(ne) sur certains faits essentiels. Elle rendent compte, dans un premier temps, de la tension profonde qui existe entre l’aile modérée et ‘'aile ultramontaine du parti conser­vateur, tant sur le terrain scolaire que dans les autres secteurs de l’ad­ministration publique. Les conservateurs de l’école de Cartier acceptent mal le rôle de second ordre que Boucher de Boucherville a assigné à l’État dans le domaine éducatif. L’un de leurs chefs, Joseph-Adolphe Chapleau, prend le pouvoir en 1879. Or, de 1880 à 1882, ce dernier tente de faire adopter une série de lois visant à réduire l’autorité du Conseil de l’Instruction publique et des commissions scolaires au profit du surintendant Ouimet et des inspecteurs d’écoles, le premier ayant déjà occupé le poste de ministre de l’Instruction publique, les seconds étant des fonctionnaires employés par l’État. Le premier ministre s’atta­que même à certains privilèges du clergé. Un projet de loi déposé en 1882 propose en effet de soumettre les écoles indépendantes tenues par des religieux à l’inspection du Département de l’Instruction publique et abroge le droit exclusif du curé de choisir les manuels scolaires à carac­tère moral et religieux. Il y a lieu de s’étonner de ces démarches du Cabinet Chapleau, effectuées quelques années après l’adoption de la loi Boucherville et au moment même où, en France, la République est en voie de transformer l’école primaire en un service public laïc contrôlé exclusivement par l’État. Elles provoquent l’intervention de l’archevêque de Québec, Mgr Taschereau, qui dirige alors l’aile modérée du clergé. Dans un langage qui ne lui est guère habituel, le prélat n’hésite pas à prédire l’avènement au Québec du «despotisme centralisateur» et d’un «Godless system» 14. Chapleau rétorque alors que «la création du Conseil de l’Instruction publique n’a jamais été interprétée comme devant subs­tituer ce corps à la Législature, ni au Gouvernement» 15. L’opposition de Mgr Taschereau et la tempête que soulève le projet de loi dans le camp ultramontain entraînent toutefois la défaite de Chapleau dans le domaine éducatif.

     Les évêques s’étaient dressés unanimement contre la politique scolaire du ministère Chapleau, laquelle mettait directement en péril les privilèges acquis par l’Église avant comme après 1875. D’autres batailles livrées autour de l’école primaire révèlent cependant que sur les questions d’enseignement, l’Église du Québec ne forme pas toujours un corps monolithique. Le groupe d’intransigeants dirigé par Mrg Laflè­che rencontre en effet une forte opposition lorsqu’il s’attaque tour à tour aux écoles normales et au Bureau des commissaires d’écoles catholiques de Montréal, institutions qui lui semblent favoriser injustement l’en­seignement laïc au détriment de l’enseignement congréganiste. On verra alors Mrg Laflèche s’engager dans une dispute bruyante avec l’abbé H.-A. Verreau, principal de l’École normale Jacques-Cartier et défenseur intrépide des instituteurs laïcs. On verra aussi l’abbé Verreau et le président des commissaires, M. Rousselot, p.s.s., guerroyer avec les Frères des écoles chrétiennes, dont le Visiteur provincial, le frère Réticius, contribuera largement à répandre la peur du laïcisme au sein du clergé québécois.

     Dans les deux cas, Mgr Taschereau prend position contre la faction intransigeante. En décembre 1884, l’archevêque et Mgr Laflèche s’affron­tent directement au Comité catholique, alors que chacun propose un candidat différent au poste de principal de l’École normale Laval. Les disciples de Mgr Laflèche lancent alors une offensive majeure contre les cadres institutionnels du système scolaire public. Cette offensive atteint son paroxysme dans Le Journal des Trois-Rivières, qui est consi­déré comme l’organe officieux de l’évêque. Dans un éditorial publié en février 1885 16, le Journal dénonce avec véhémence la loi scolaire de 1875 qui, pourtant, a été accueillie avec satisfaction par l’épiscopat. Il accuse aussi le surintendant de l’Instruction publique, les officiers de son Département et certains membres laïcs du Comité catholique d’être des partisans du laïcisme et de l’État enseignant. Cet article aura l’effet d'une bombe dans les milieux politique et de l’éducation. Résolu à mettre fin aux agissements de son collègue de Trois-Rivières, Mgr Taschereau décide de recourir au Saint-Siège. Il écrit personnellement au préfet de la Propagande, le cardinal Simeoni. L’archevêque défend alors le système scolaire de la province et les lois qui le régissent. À vouloir chasser absolument l’État de l'École, insiste-t-il, les catholi­ques intransigeants ne réussiront à obtenir au Québec que ce qui s’est produit en Europe, «où c’est l’État qui a chassé l’Église» 17. L’évêque de Chicoutimi, Mgr Dominique Racine, écrit aussi dans le même sens au cardinal préfet. Il blâme ouvertement la conduite «imprudente et exagérée» adoptée par Mgr Laflèche relativement aux questions d’ensei­gnement. Cette façon de procéder, conclut-il, «nous mettra en conflit avec le gouvernement et achèvera de nous faire perdre ce qui nous reste d’influence et d’autorité auprès de nos fidèles» 18. En 1885, Rome donnera gain de cause à Mgr  Taschereau et à son collègue de Chicoutimi. Deux consulteurs de la Propagande émettent alors l’opinion que la loi scolaire de 1875, loin d’être incompatible avec les droits de l’Église, reproduit au contraire l’idée catholique «avec une perfection qu’on n’est plus habitué à trouver même chez les nations qui se disent catholiques» 19.

     L’année suivante, dans une lettre adressée au premier ministre du Québec, John J. Ross, Mgr Taschereau expose clairement la position des évêques modérés sur la question des rapports Église-État dans le domaine scolaire. Il précise que si le Syllabus 20 refuse à l’État «le droit exclusif de diriger l’éducation», il ne faut pas conclure que ce dernier doit se tenir complètement en dehors de l’École, Mgr Taschereau s’en prend ensuite aux catholiques qui transposent en sol canadien les pro­blèmes de l’ancienne mère-patrie:

 

De ce que certains États abusent de leur pouvoir et tyrannisent l’Église, la famille et la jeunesse, en ce qui concerne l’éduca­tion il ne s’ensuit nullement qu’il faille nier à l’État tout droit dans l’École.

 

      L’archevêque conclut que les lois scolaires du Québec ne sont sans doute pas parfaites, mais que «le temps, l’expérience et la bonne entente entre l’Église et l’État donnent lieu d’espérer qu’on pourra au moins se rapprocher d’un idéal qu’on n’atteindra jamais » 21.

     Ces dernières paroles de l’archevêque indiquent que c’est surtout au niveau de l’agir que les clercs modérés se distinguent de leurs col­lègues intransigeants. Si les premiers s’accordent avec les seconds sur la thèse de la supériorité de l’Église sur l’État, ils s’écartent de ces der­niers sur les moyens à prendre pour rendre cette supériorité effective. Voulant éviter l’éclatement d’un conflit politico-religieux qui tournerait au désavantage de l’Église, ils refusent de s’engager dans la voie des exigences dangereuses. « Nous sommes risqués à tout perdre si nous allons trop loin», écrit ainsi Mgr Taschereau au cardinal Simeoni en 1890 22. Le groupe des modérés applique en somme aux questions scolaires la théorie de la thèse et de l’hypothèse, rendue célèbre par l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, et qui a reçu l’approbation du pape Léon XIII. Cette théorie opère une distinction entre la thèse, c’est-à-dire la vérité de principe, et l’hypothèse, qui représente ce qu’on peut réaliser dans les conditions du moment.

     Concrètement parlant, l’essentiel, pour les modérés, est de prévenir toute rupture de l’accord conclu en 1875 entre l’Église et l’État. Or ce dernier ne sera plus sérieusement remis en question après le départ de Chapleau en 1882. Les ultramontains ayant accentué leur emprise au sein du parti conservateur, les successeurs de Chapleau, J.-A. Mousseau et John J. Ross, respectent l’esprit de la loi Boucherville. Le passage au pouvoir d’Honoré Mercier, entre 1887 et 1891, n’entraîne par ailleurs aucune modification du régime scolaire institué par les conservateurs. En tant que chef de l’opposition libérale, Mercier s’est prononcé, certes, pour une intervention vigoureuse de l’État dans le secteur éducatif. Il â multiplié aussi les déclarations en faveur de la gratuité scolaire et de l’instruction obligatoire, deux réformes qui sont fermement repoussées à l’époque par l’Église du Québec, puisqu’elles lui apparaissent comme le prélude à la création d’un système scolaire laïc dirigé par l’État. Devenu premier ministre, Mercier renonce pourtant à ses anciennes prises de position audacieuses, car il lui faut ménager l’appui des ultramontains qu’il a regroupés au sein du parti national dont il est le chef.

     Enfin, le peu d’intérêt que manifestent la plupart des dirigeants politiques québécois pour l’école primaire dans le dernier tiers du XIXe siècle contribue à maintenir le statu quo. Les administrations qui se suc­cèdent à partir de 1875 ne conçoivent pas de véritable politique scolaire axée sur le développement de l’enseignement primaire. L’insuffisance des crédits affectés au soutien des écoles publiques sera également dé­noncée à l’époque par le surintendant de l’Instruction publique. Invo­quant la conjoncture économique défavorable et l’état déplorable des finances provinciales (qui sont alors engagées largement dans un pro­gramme coûteux d’expansion ferroviaire), les hommes politiques, qu’ils soient conservateurs, libéraux ou nationaux, prêchent en fait l’économie et le retranchement lorsqu’il s’agit d’instruction publique. C’est ainsi que l’enseignement à bon marché devient au cours de cette période un slogan fort populaire auprès des hommes publics.

     Or cette stratégie procure à maintes reprises des alliés influents aux clercs intransigeants. En 1879, par exemple, le gouvernement libéral d’Henri Joly vient près de donner gain de cause à Mgr Laflèche lors­qu’il propose de réduire le coût de l’inspection scolaire en confiant cette charge aux curés, idée qui est alors défendue par l’évêque de Trois-Rivières. La chute du ministère Joly empêchera la réalisation de ce projet, auquel s’opposait Mgr Taschereau, la fonction d’inspecteur lui apparaissant incompatible avec le ministère paroissial. Quelques années plus tard, on verra le Conseil municipal de Montréal soutenir la campa­gne menée par les Frères des écoles chrétiennes contre le Bureau des commissaires. Craignant de soulever le mécontentement populaire, le maire et les échevins s’objectaient, en effet, à l’augmentation lie la taxe scolaire réclamée par les commissaires. Ces derniers soutinrent alors habilement qu’une économie considérable seraient réalisée si le Bureau des commissaires employait un plus grand nombre de religieux dans les écoles de la métropole.

     Enfin, le projet d’abolition des écoles normales conçu par Mgr Laflèche au début des années 1880 sera accueilli favorablement par plusieurs chefs de gouvernement qui, dans le but de récupérer les subventions qui leur étaient allouées, songeaient à supprimer ces institutions et à confier la formation des maîtres à des communautés religieuses, tel que le souhaitait l’évêque de Trois-Rivières. Mercier, entre autres, aurait voulu consacrer ces octrois au règlement de l’épineuse question des biens des Jésuites. À chaque occasion, cependant, l’aile modérée de l’épiscopat et la majorité des membres du Comité catholique se pro­noncèrent pour le maintien des Écoles normales Laval et Jacques­-Cartier.

     Ces diverses alliances qui se nouent entre clercs et laïcs, de même que les dissensions au sein du clergé que nous avons évoquées plus haut, montrent bien qu’on ne saurait interpréter les querelles scolaires de la fin du XIXe siècle comme un affrontement tranché entre l’Église et l’État. Il est clair, d’autre part, que l’offensive lancée par Mgr Laflèche et ses dis­ciples contre le système scolaire public s’est soldée par un échec. Les écoles normales et le service d’inspection scolaire sont maintenus, le Bureau des commissaires emploie toujours des maîtres laïcs pour ses éco­les, enfin, évêques et laïcs continuent de siéger ensemble au Comité catholique. La position des évêques modérés l’emporte donc. Celle-ci apparaît clairement dans la lettre pastorale collective sur l’éducation que publient, en 1894, les archevêques et évêques des provinces ecclésiasti­ques de Québec, de Montréal et d’Ottawa. Cette lettre longue d'une cin­quantaine de pages, rédigée par le successeur du cardinal Taschereau, Mgr Bégin, proclame d’abord la volonté bien arrêtée des évêques de con­server «dans toute leur intégrité» les prérogatives de l’Église dans le sec­teur éducatif. Mais il reconnaît aussi à l’État le droit d’ouvrir et de finan­cer des écoles, sur lesquelles l’Église doit cependant exercer une surveil­lance attentive afin d’en proscrire tout enseignement qui serait contraire à la doctrine catholique 23. Les évêques se déclarent satisfaits, par ailleurs, de l’organisation scolaire au Québec. C’est pour l’Église, écrivent-ils, une «joie légitime» de voir fonctionner un système d’éducation qui, sans être absolument parfait, repose toutefois sur «une entente cordiale entre l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique» et accorde à cette dernière, dans l’approbation des maîtres et des méthodes, «une part d’influence propre à sauvegarder les intérêts sacrés de la famille, de la conscience et de la foi» 24. Les évêques proclament ensuite l’importance de l’ensei­gnement primaire, qui doit être dispensé à tous les enfants, «parce que tous à quelque état de leur vie... peuvent avoir besoin, surtout dans les conditions économiques de l’âge moderne, des premiers éléments des connaissances humaines» 25. Enfin, dans une section intitulée «L’Église amie du vrai progrès», l’épiscopat québécois affirme que cette dernière désire le progrès «non seulement dans les sciences et les lettres, mais encore dans l’industrie, le commerce, l’agriculture, et tout ce qui peut améliorer le sort de l’homme». Aussi voit-elle d’un «oeil favorable» la création d’écoles spéciales «destinées à promouvoir nos intérêts maté­riels», pourvu que ces fondations ne portent pas préjudice aux études classiques que l’Église considère comme essentielles 26.

     Cette profession de foi vient à point. Depuis quelques années, l’idée d’une réforme de l’enseignement circule en effet dans la province. L’élan a été donné par les libéraux radicaux, qui prolongent une tradi­tion démocratique et anticléricale prenant racine dans le Rougisme du milieu du XIXe siècle. À la fin du siècle, les radicaux se regroupent surtout à Montréal, où un bon nombre fréquentent la loge maçonnique L’Émancipation, affiliée au Grand-Orient de France. La loge est d’abord dirigée par Honoré Beaugrand, puis par Godfroy Langlois, qui succède également à Beaugrand comme directeur de La Patrie, grande doyenne de la presse libérale à Montréal. Grâce à La Patrie et à d’autres jour­naux au tirage plus limité, les radicaux sont en mesure de porter le débat devant l’opinion publique. Partisans de l’enseignement technique et commercial, il font le procès des collèges classiques, qu’ils accusent d’être mal adaptés aux besoins d’une société entrée dans l’ère industrielle. Afin de restreindre l’accession des clercs à la carrière enseignante, ils réclament aussi le brevet de capacité obligatoire pour les enseignants religieux. S’inspirant de l’oeuvre scolaire de la IIIe République, les radicaux revendiquent enfin des réformes destinées à transformer l’école primaire en un service public accessible à tous les enfants, à savoir l’instruction gratuite et obligatoire, l’uniformité des manuels scolaires et surtout, le rétablissement du Ministère de l'Instruction publique, première étape vers la laïcisation complète de l’enseignement.

     Or la campagne menée par la gauche libérale en faveur de la réforme scolaire finit, malgré tout, par atteindre les milieux conservteurs. La presse «bleue» de Montréal se met à dénoncer les carences du système éducatif québécois, tant au niveau des programmes d’études que de la qualité de l’enseignement. Des ultramontains même, jugent sage de prendre les devants et de suggérer certaines améliorations. C’est ainsi qu’en 1892, l’ancien lieutenant-gouverneur de la province, Rodrigue Masson, va jusqu’à proposer au Comité catholique d’imposer le brevet de capacité aux enseignants religieux. On ne saurait sous-­estimer l’importance de ce geste. Il est symptomatique du mouvement d’opinion qui se développe en faveur d’un enseignement primaire amé­lioré, mouvement qui met implicitement en cause l’action respective menée par l’Église et l’État dans le domaine éducatif. Cette évolution n’échappe pas à l'attention des évêques modérés. En 1893, l’évêque de Sherbrooke, Mgr Antoine Racine, écrit à Mgr Begin, alors évêque coadjuteur de Québec:

 

Une chose qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que les évêques doivent, autant que se peut, être en union d'esprit avec leurs fidèles, diriger le mouvement selon les vues de l’Église; ils ne doivent pas craindre, lorsque les circonstances l’exigent, non pas d’abandonner leurs droits, mais de changer et de renouveler leurs programmes; sinon ils s’exposent à de tristes et désagréables surprises.27

      Mgr Bégin partage entièrement les vues de son collègue. Afin de donner satisfaction à Rodrigue Masson et de mettre l’enseignement congréganiste à l’abri des critiques qui risquent de s’intensifier, Bégin propose la création de bureaux d’examinateurs épiscopaux, grâce aux­quels l’Église conservera le privilège de juger elle-même de la capacité des enseignants religieux. Ce projet reçoit l’approbation du Saint-Siège. Le préfet de la Propagande, le cardinal Ledôchowski, estime, en effet, qu’une telle mesure, «outre qu’elle pourrait avoir l’heureux résultat de prévenir une loi spéciale de l’État, serait par elle-même utile pour donner une plus grande perfection aux écoles catholiques» 28. L’opposition unanime des évêques au Comité catholique ayant amené Rodrigue Mas­son à retirer sa désormais célèbre proposition, Mgr Bégin n’aura pas à mener son projet à terme. L’initiative qu’il a prise exprimait néanmoins son désir de répondre positivement au mouvement de réforme scolaire, plutôt que d’y résister aveuglément.

     De leur côté, les dirigeants politiques conservateurs en viennent aussi à adopter cette attitude. En 1896, à la veille des élections provinciales, le gouvernement d’Edmund Flynn s’engage formellement à soutenir «la noble cause» de l’éducation, qu'il considère comme «le plus grand bienfait dont un gouvernement puisse doter un peuple» 29. Le premier ministre fait alors adopter une loi créant un fonds spécial annuel de 50 000 $ destiné à répandre l’instruction chez les classes po­pulaires et à relever les traitements des enseignants. Cette mesure mar­que une rupture importante avec la politique de parcimonie poursuivie par les gouvernements précédents. Elle fait aussi appel à une interven­tion directe de l’État, les nouveaux octrois devant être distribués sous la direction exclusive du gouvernement.

     L'administration Flynn ne sera toutefois pas en mesure d’exécuter sa politique scolaire. En mai 1897, les libéraux québécois dirigés par Félix-Gabriel Marchand prennent le pouvoir, victoire qui vient compléter celle remportée par leurs homologues fédéraux en 1896. Ancien commissaire d’école, Marchand s’est engagé, au cours de la campagne électorale, à relever le niveau de l’enseignement primaire, dont il a jadis observé les lacunes. Au mois de novembre, à l’ouverture de la session provinciale, le cabinet annonce la présentation d’un projet de loi visant à rétablir le Ministère de l’Instruction publique, aboli en 1875. Le discours du trône précise que le gouvernement actuel, «pénétré du sentiment de sa responsabilité dans tout ce qui tend au bien-être et au progrès de la Province... ne saurait se désintéresser de la question si importante de l’enseignement» 30. La réforme proposée par la nouvelle administration libérale montre bien que l’entente conclue en 1875 entre l’Église et l’État s’appuie sur une conquête législative qui se trouve forcément à la merci d’un changement de régime politique. Elle révèle aussi l’influence qu’exercent sur le gouvernement les libéraux radicaux, qui revendiquent depuis un bon moment la création d’un Ministère de l’Instruction publique.

     Le projet de loi rencontre toutefois l’opposition des évêques, modé­rés et intransigeants. Le projet maintient, il est vrai, les deux Comités du Conseil de l’Instruction publique, qui conserveront, assure le gouver­nement, toute leur autorité. Mais cela n’amoindrit pas la signification essentielle du projet, à savoir la rupture de l’accord négocié en 1875 et l’intervention du pouvoir politique dans l’enseignement. Les évêques québécois, que la question scolaire manitobaine a déjà dressée contre Wilfrid Laurier et les libéraux fédéraux, s’entendent de nouveau pour combattre les libéraux provinciaux sur la question du Ministère de l’Instruction publique. C’est le nouvel archevêque de Montréal, Mgr Bruchési, qui dirigera cette fois l’offensive épiscopale. Dans une lettre au cardinal Rampolla, secrétaire d’État au Vatican, le prélat exposera les motifs qui contraignaient les évêques à s’opposer au projet de loi:

 

Il est évident que l’influence de l'épiscopat en sera diminuée sur le champ, du moins bientôt. Un ministre de l’Instruction publique, mais c’est l’introduction de la politique dans tout-ce-qui se rapporte à l’éducation. Les choses ne sauraient se passer au Canada autre­ment que dans les autres pays du monde. 31

 

      Nous n’avons pas à rappeler ici les étapes bien connues du conflit politico-religieux déclenché par le projet de rétablissement du Ministère de l’Instruction publique 32. Celui-ci se solde, on le sait, par la victoire de Mgr Bruchési, qui a même demandé au Saint-Siège d’intervenir dans la querelle. Deux faits méritent pourtant d’être soulignés. Le rejet du projet de loi par le Conseil législatif, où les conservateurs ultramontains exercent une influence prépondérante, met d’abord en relief le rôle crucial joué par cet organisme dans la protection des privilèges de l’Église dans le secteur éducatif. Depuis l’adoption de la loi de 1875, l’épiscopat avait pu compter sur la Chambre haute pour faire échec à toute mesure impliquant un renforcement de l’autorité étatique dans le domaine de l’enseignement. À l’instar du Comité catholique, le Conseil législatif constituait donc, à la fin du XIXe siècle, un rempart solide du pouvoir clérical en matière scolaire.

     Il faut insister, d’autre part, sur l’intervention décisive de Wilfrid Laurier, qui donne le coup de grâce au projet de création d’un Ministère de l’Instruction publique. Le premier ministre canadien veut éviter à tout prix une guerre ouverte entre le clergé et les libéraux qui risquerait de compromettre l’avenir du parti au Québec et menacerait, à court terme, ses chances de réaliser avec l’épiscopat un accord définitif au sujet des écoles manitobaines. Laurier presse donc Marchand de renon­cer à l’objectif principal de sa politique éducative. Aussi, lorsque ce dernier dépose en 1899 un nouveau projet de loi scolaire, il n’est plus question d’un Ministère de l’Instruction publique. Deux clauses renforcent toutefois les pouvoirs de l’État: la première réserve au cabi­net la nomination des inspecteurs d’écoles, sans la recommandation du Conseil de l’Instruction publique; la seconde autorise le gouvernement à distribuer gratuitement les manuels scolaires, disposition qui peut con­duire à l’uniformité des livres et à la création d’un monopole contrôlé par l’État. Cependant, l’Église ne pose pas d’obstacle à l’adoption du projet qui reçoit, par le fait même, la sanction du Conseil législatif. Un compromis a été réalisé entre les libéraux et l’épiscopat, ce dernier consentant certaines concessions sur des questions secondaires, pourvu que soient maintenus les points essentiels de l’entente conclue en 1875.

     Cette attitude conciliatrice a d’ailleurs été prescrite par Léon XIII dans l’encyclique Affari Vos sur la question scolaire manitobaine, pro­mulguée en décembre 1897. Les directives du Pape pouvaient s’appliquer facilement au contexte québécois. Le cardinal Rampolla, qui était le col­laborateur intime du Saint-Père, l’avait signalé au premier ministre Marchand quelques jours après la publication de l'encyclique 33. Le Saint-Père recommandait en effet aux évêques de ne jamais perdre de vue les règles de la modération et de la douceur, ni de refuser les satisfactions partielles 34. Il leur demandait aussi de favoriser le progrès de l’éducation afin que les écoles catholiques «puissent rivaliser avec les plus florissantes, par la bonté des méthodes de formation et par l’éclat de l’enseignement» 35 Enfin, le Pape trouvait légitime l’intérêt que manifestaient les gouvernements provinciaux, pour la cause de l’instruc­tion publique:

 

Au point de vue de la culture intellectuelle et du progrès de la civilisation, on ne peut que trouver beau et noble le dessein conçu par les provinces canadiennes de développer l’instruction publique et d’en élever de plus en plus le niveau...36

 

      Le Saint-Siège faisait appel, indubitablement, à une amélioraton des rapports entre l’autorité civile et l’autorité religieuse. Ce rapproche­ment voulu par Rome ne pouvait toutefois s’effectuer si les libéraux québécois brandissaient le spectre de l’État enseignant. Mais le gouver­nement Marchand ayant renoncé à l’idée d’établir un Ministère de l'Ins­truction publique, la modération prescrite par Affari Vos l’emporte au sein de l’épiscopat. Sous la direction de Wilfrid Laurier d’une part, et de Léon XIII de l’autre, les hommes politiques libéraux et les chefs ecclésiastiques jettent ainsi en 1899 les bases d’un modus vivendi qui dictera les rapports Église-État dans le domaine de l’enseignement primaire au début du XXe siècle. D’un côté, les premiers tenteront d’avancer des pions sur l’échiquier scolaire tout en mettant en veilleuse les principales réformes revendiquées par les libéraux radicaux. Quant à l’épiscopat, il demeurera ferme sur les principes, mais ne dédaignera pas les mesures de compromis, en autant qu’elles conservent à l’Église la position privilégiée qu’elle a acquise dans la direction du système scolaire public. Chaque partie aura le souci d’éviter un conflit majeur et cette volonté se traduira dans les faits par une politique à la fois souple et subtile.

 

                                      Ruby HEAP

                                      Département d’histoire

                                      Université de Montréal



1Mgr Lartigue à Mgr Turgeon, 28 mars 1836. Archives de l’archevêché de Québec (AAQ), Diocèse de Montréal, 6:140, dans Michel Brunet, Notre passé, le présent et nous, Montréal, 1976, p. 79.

2Journal de l’Instruction publique, 1868, p. 23.

3Louis-Philippe Audet, «P.-J.-O. Chauveau, ministre de l’Instruction publique, 1867­-1873», Mémoires de la Société royale du Canada (MRSC ), 4e série, 5 (juin 1967), pp. 171-85.

4

P.-J.-O. Chauveau à L.-H. Huot, 4 mars 1874, Archives du Séminaire de Québec (ASQ), manuscrits non classifiés, dans Keith D. Hume, «The Ministry of Public Instruction in Quebec, 1867-1875: an Historical Study», thèse de Ph.D., McGill University, 1964, p. 76.

5P. Chauveau, L’Instruction publique au Canada, Québec, 1876, p. 100.

6

Voir K. Hume, « The Ministry of Public Instruction», pp. 172-210.

7Le Journal des Trois-Rivières, 18 août 1873.

8Jean-Louis Roy, compilateur, Les programmes électoraux du Québec, Ottawa, 1970, t. 1, p. 16.

9L.-P. Audet, «Le premier ministère de l’Instruction publique au Québec», Revue d’histoire de l Amérique française, 12 (septembre 1968), p. 221.

10Mgr Laflèche à Mgr Taschereau, ler mars 1875, Archives de l’évêché de Trois-­Rivières (AETR), Registre des lettres, 6, 6/75-1-111, 1875.

11L.-P. Audet, Histoire du Conseil de l’Instruction publique, Montréal, 1964, pp. 85-6.

12Mgr Bourget à Mgr Taschereau, 16 novembre 1875, AAQ, Correspondance avec l’évêque de Montréal, 12:28, dans ibid., pp. 90-2.

13J’ai examiné l’évolution et la substance de ces débats dans ma thèse de maîtrise, «L’Église, l’État et l’éducation au Québec, 1875-1898», Montréal, McGill University, 1979, chapitre 2, pp. 111-257.

14Mgr Taschereau à Chapleau, 12 mai 1882, Archives du Séminaire de Trois­Rivières (ASTR), Papiers Pierre Boucher de La Bruère, dossier 54, document J1-51.

15Chapleau à Mgr Taschereau, 12 mai 1882, ibid.

16Voir « La Lumière se fait», Le Journal des Trois-Rivières, 5 février 1885.

17Mgr Taschereau au cardinal Siméoni, 5 mars 1885, AAQ, Registre des lettres, 34, no. 968.

18Mgr Racine à idem, 7 mars 1885, ASQ, Université 28, no. 94.

19«Mémoire du R.P. Saccheri, O.P., et de Mgr Salvatore Talamo, sur l’orthodoxie de nos lois d’éducation», 13 juin et 2 juillet 1885, AAQ, Corresponsance manus­crite de Rome, VII-203.

20Il s’agit du Syllabus errorum, publié en 1864 par le pape Pie IX.

21Cette lettre, datée du 14 septembre 1886, fut publiée dans L’Enseignement primaire, 16 octobre 1886, pp. 197-9.

22Mgr Taschereau au cardinal Simeoni, 31 juillet 1890, AAQ, Registre des lettres, 36, no. 973.

23

Lettre pastorale de Nos Seigneurs les archevêques et évêques des provinces ecclé­siastiques de Québec, de Montréal et d’Ottawa sur l’éducation, Québec, 1894, pp. 32-3.

24Ibid., pp. 33-4.

25

Ibid., p. 44.

26

Ibid. , pp. 48-9.

27Mgr Racine à Mgr Bégin, 8 mai 1893, AAQ, Gouvernement du Québec, 111-43.

28Cardinal Ledéchowski à idem, 4 mai 1894, AAQ, Correspondance manuscrite de Rome, XI-8.

29Edmund James Flynn, Le gouvernement devant l’opinion: discours-programme pro­noncé le 6 septembre 1896 à Saint-Jean-Port-Joli, Québec, 1897, dans J.-L. Roy, comp., Les programmes électoraux, t. 1, p. 95.

30Journaux de ‘Assemblée législative de la province de Québec, 32 (1897-1898), séance du 23 novembre 1897, pp. 23-4.

31Mgr Bruchési au cardinal Rampolla, 17 décembre 1897, AAQ, Question scolaire du Manitoba, IV-26.

32Louis-Philippe Audet a retracé ces étapes dans son article « Le projet du ministère de l’Instruction publique en 1897 », MSRC, 4e série, 1 (juin 1963), pp. 133-61.

33Cardinal Rampolla à MGR Bruchési, 15 décembre 1897, dans Marcel Hamelin, éditeur, Les mémoires du sénateur Raoul Dandurand (1861-1942 ), Québec, 1967, p. 97.

34«Lettre encyclique de NTSP Léon XIII aux archevêques et évêques et aux autres ordinaires de la Confédération canadienne», 8 décembre 1897, dans Lettres apostoliques de Léon XIII, Paris, s.d., p. 123.

35Ibid., p. 125.

36Ibid.