S.C.H.E.C., Sessions d’étude, 50 (1983),
183-199
Les relations Église-État
dans le domaine de l’enseignement primaire public
au Québec: 1867-1899
Trois moments dominent l’histoire des rapports
Église-État dans le secteur de l’enseignement primaire public pour la période
de 1867-1899: la création d’un Ministère de l’Instruction publique en 1867, son
abolition en 1875 et la tentative effectuée pour le rétablir en 1897. L’enjeu
est évidemment le même dans les trois cas: il s’agit du contrôle de l’État sur
l’école primaire qui, chargée de la formation des jeunes esprits, constitue un
lieu privilégié d’inculcation et de reproduction idéologiques.
L’Acte de
l’Amérique du Nord Britannique, on le sait, confia aux provinces une
juridiction exclusive en matière d’éducation. En 1867, le nouvel État québécois
était donc libre de formuler des politiques éducatives et de diriger le
système scolaire public qui avait graduellement été mis sur pied après l’union
des deux Canadas en 1840. Les dirigeants politiques ne pourraient toutefois
passer outre aux demandes ou réclamations du clergé qui, de son côté, avait
fait sous l’Union des gains substantiels dans le domaine de l’instruction
publique. La législation scolaire adoptée au cours des années 1840 et 1850
accentua en effet le caractère confessionnel de l’école primaire et conféra des
avantages considérables aux membres du clergé. Elle leur réserva ainsi le droit
d’être élus commissaires d’écoles et de choisir les manuels scolaires de
caractère moral et religieux. Elle exempta aussi les enseignants religieux de
l’examen d’aptitudes imposé aux instituteurs laïcs. Enfin, des membres du
clergé furent appelés à siéger au Conseil de l’Instruction publique lorsque
celui-ci fut créé en 1859. D’autre part, le régime des commissions scolaires
établi durant la décennie 1840 réduisit l’autorité de l’État dans le secteur
éducatif. La gestion des écoles publiques fut d’abord enlevée aux conseils
municipaux dont les principaux administrateurs étaient nommés par le
gouvernement. Mais surtout, ce régime, qui allait rester en vigueur pendant
plus d’un siècle, engagea l’administration scolaire du Québec dans la voie
d’une décentralisation poussée, les autorités locales étant investies de
pouvoirs considérables: construction et visite des écoles, perception des
taxes, élaboration des règlements scolaires et du cours d’études, engagement et
destitution des maîtres, etc.
Bref, à la
veille de la Confédération, l’Église avait nettement renforci sa position dans
le domaine scolaire. Le zèle déployé à cette fin par les chefs ecclésiastiques
indiquait que ces derniers entendaient exercer un contrôle décisif sur
l’éducation des classes populaires. Cet objectif était poursuivi avec le plus
de vigueur par l’aile intransigeante de l’épiscopat, dirigée successivement par
Mgr Lartigue et Mgr Bourget, tous deux évêques de
Montréal. Dès 1836, Mgr Lartigue avait exposé à Mgr
Turgeon, de Québec, le but que désiraient atteindre les clercs intransigeants:
il fallait faire en sorte que «le clergé s’empare, comme de droit, de
l’éducation du Peuple» 1.
Or voici
qu’en 1867, le gouvernement conservateur de Pierre Chauveau décide d’établir
un Ministère de l’Instruction publique, geste audacieux puisque aucune autre
province canadienne ne possède alors un tel ministère. Cette mesure, qui était
inscrite au programme du parti conservateur, démontre l’importance qu’on
accorde alors aux questions éducatives. Le discours du trône prononcé par le
gouvernement en 1867 affirme en effet que le progrès de l’instruction publique
constitue, après l’élément religieux, « le signe évident auquel se
reconnaissent les nations vraiment civilisées» 2. Pierre Chauveau a d’ailleurs occupé le poste de
surintendant de l’Instruction publique de 1855 à 1867; on ne s’étonnera donc
pas de voir ce dernier cumuler les fonctions de premier ministre et de ministre
de l’Instruction publique. La création d’un ministère indique, d’autre part,
que les dirigeants du nouvel État québécois ne craignent pas de mettre le
pouvoir politique au service de l’éducation. Leur position est celle des
conservateurs modérés, dirigés à l’époque par George-Étienne Cartier. Chauveau
est en fait lié d’amitié avec Cartier, qui a sans doute inspiré le choix de
l’ancien surintendant comme premier ministre du Québec 3.
En raison de
l’alliance qu’elle a contractée sous l’Union avec les conservateurs
francophones et des rapports harmonieux qu’elle a développés avec Chauveau
durant sa carrière de surintendant, l’Église ne s’élève pas officiellement
contre la création d’un Ministère de l’Instruction publique. L’épiscopat
obtient toutefois que soit insérée dans le projet de loi établissant le
ministère une disposition laissant au gouvernement la faculté de nommer, selon
les circonstances, soit un ministre, soit un surintendant. Les évêques,
expliquera plus tard Chauveau, craignaient «qu’il y ait un ministère où l’on ne
put trouver un ministre de l’Instruction publique donnant toutes les garanties
suffisantes et ils voulurent qu’on y insère la faculté d’avoir un surintendant»
4.
Même si les évêques s’étaient jadis inquiétés des pouvoirs considérables
conférés au surintendant de l’Instruction publique, ce dernier était moins
menaçant qu’un ministre puisqu’il était, dans les mots de Chauveau, un «
fonctionnaire étranger à la politique» 5
En plus de
rassurer l’épiscopat sur ce point, Chauveau conserve le Conseil de
l’Instruction publique, au sein duquel siègent des membres du clergé. Bien
plus, une loi scolaire adoptée en 1869 améliore la position de l’Église au sein
du Conseil. Elle divise d’abord ce dernier en deux Comités, catholique et
protestant, accentuant ainsi de nouveau la confessionnalité de l’enseignement
primaire public. La loi assure ensuite au clergé une plus forte représentation
au sein du Conseil, cinq des neuf membres du Comité catholique étant des
ecclésiastiques.
Responsable
de l’organisation pédagogique de l’enseignement primaire, le Conseil de
l’Instruction publique joue un rôle important. Or, après sa réorganisation en
1869, cet organisme prend graduellement l’initiative dans la formulation et la
révision des politiques scolaires et se transforme peu à peu en un rival de
taille du ministre de l’Instruction publique. Cette évolution est accélérée par
la démission de Chauveau comme premier ministre en 1873, ses successeurs immédiats,
Gédéon Ouellet et Boucher de Boucherville, ne possédant ni l’expérience ni les
qualifications du premier titulaire 6. Cette évolution est également encouragée par deux
groupes de pression dont les chefs de gouvernement doivent tenir compte. Il
s’agit, d’une part, des conservateurs ultramontains, qui s’opposent au groupe
des modérés et qui renforcent peu à peu leur emprise au sein du parti
conservateur. Prônant la suprématie de l’Église sur l’État, les ultramontains
ne peuvent évidemment tolérer l’existence d'un Ministère de l’Instruction
publique, qu’ils dénoncent comme un organisme «vicieux» puisqu’il a été placé
«sous la seule juridiction et dépendance de l’État» 7. Le Programme catholique qu’ils publient en
1871 fait le procès des lois scolaires de la province, lesquelles blessent les
droits de l’Église et gênent sa liberté d’action 8. D’autre part, les porte-paroles de la minorité
anglo-protestante désirent obtenir pour leurs coreligionnaires une plus grande
liberté dans la direction des affaires scolaires. Mais il ne peut être question
d’avoir deux ministres de l’Instruction publique et le gouvernement refuse
également d’employer deux surintendants 9.
En 1875, le
premier ministre Boucher de Boucherville tente de donner satisfaction tant aux
ultramontains qu’aux protestants. Il fait alors adopter une loi scolaire qui
aura des conséquences profondes sur l’évolution du système éducatif québécois.
Cette loi remplace le ministre de l’Instruction publique par un surintendant
qui sera désormais responsable, non pas à l’Assemblée législative, mais aux
deux Comités du Conseil de l’Instruction publique. La loi consacre aussi
l’autonomie des Comités catholique et protestant, qui auront chacun la tâche de
régir les écoles primaires de leurs coreligionnaires respectifs. Cette mesure
nomme enfin chaque évêque membre de droit du Comité catholique, pourvu que son
diocèse soit situé en tout ou en partie dans la province de Québec.
Cette
dernière clause confère évidemment à l’Église une influence considérable dans
la direction de l’enseignement primaire catholique et on a généralement
interprété la loi de 1875 comme une démission totale de l’État dans le champ
éducatif. Elle donne certes satisfaction à l’ensemble de l’épiscopat, qui
désirait placer l’éducation à l’abri de la politique et des luttes partisanes.
Le premier ministre, que l’on surnomme le «Jésuite laïque» a d’ailleurs pris
soin de consulter les évêques avant de soumettre son projet de réforme scolaire
à l’Assemblée législative. Un examen attentif de la loi révèle cependant que le
pouvoir politique ne s’est pas retiré complètement de l’enseignement primaire.
La loi réserve en effet à l’État la nomination du surintendant de l’Instruction
publique, des professeurs des écoles normales, des officiers du Département de
l’Instruction publique, organisme administratif à la tête duquel se trouve le
surintendant, et, enfin, des membres laïcs du Comité catholique. Elle prévoit
aussi que dans l’accomplissement de leurs devoirs, les membres du Conseil de
l’Instruction publique seront sujets aux ordres et aux instructions que leur
adressera le lieutenant-gouverneur en conseil et que tous les règlements
édictés par les deux Comités du Conseil seront aussi sujets à l’approbation de
ce dernier. De plus, la loi scolaire de 1875 n’ayant rien de spécifiquement
intangible, le pouvoir de l’Assemblée de légiférer dans le domaine scolaire
reste intact. Enfin, le texte de loi ne contient aucune déclaration de
principes concernant les droits de l'Église en matière d’éducation. Mgr
Laflèche, évêque de Trois-Rivières et nouveau chef de file des clercs
intransigeants, avait signalé cette absence peu de temps avant l’adoption du
projet de loi. Il avait alors demandé que la direction des écoles publiques
soit explicitement reconnue comme une mission de droit de l’Église, et non
comme une responsabilité dévolue aux évêques par l’autorité civile 10
Si, par
ailleurs, on confronte la loi avec les suggestions émises par Mgr
Jean Langevin, évêque de Rimouski et conseiller du premier ministre, on
s’aperçoit que le législateur n’a pas répondu à toutes les attentes du prélat.
Mgr Langevin avait proposé que le Conseil de l’Instruction publique
soit investi de tous les pouvoirs sur le plan administratif, y compris celui
de nommer les officiers du Département de l’Instruction publique, les
professeurs des écoles normales et les membres laïcs du Comité catholique.
L’évêque de Rimouski avait demandé aussi que le Conseil soit responsable de la
présentation au gouvernement du budget affecté à l’enseignement primaire,
responsabilité que la loi de 1875 confiera au surintendant de l’Instruction
publique 11.
Il faut
souligner, enfin, les réserves sérieuses exprimées par Mgr Bourget
quant à la position occupée par les évêques au sein du Comité catholique.
D’après l'évêque de Montréal, ces derniers ne devaient pas «être rangés par la
loi parmi les officiers du gouvernement», ni se trouver sur un pied d’égalité
avec des laïcs, ni être placés sous la présidence d’un surintendant qui
pourrait fort bien être un protestant ou un catholique «hostile à l’autorité
ecclésiastique» 12. Les sombres prévisions de Mgr Bourget ne se
réaliseront pas, mais il reste que le pouvoir civil s’est réservé en 1875 les
moyens de faire sentir sa présence. Alors qu’il affirmait vouloir placer
l’école à l’abri des influences dommageables de la politique, Boucher de
Boucherville nomme comme surintendant l’ex-premier ministre du Québec, Gédéon
Ouimet. En 1895, Ouimet est remplacé par un autre homme politique, Pierre
Boucher de La Bruère, qui a assumé pendant plusieurs années la présidence du
Conseil législatif. De plus, les gouvernements qui se succèdent après 1875 ne
manquent pas de nommer au Comité catholique des membres influents du parti au
pouvoir. En 1887, Honoré Mercier, alors premier ministre du Québec, créera un
précédent en venant lui-même prendre place au Comité.
En somme, la
loi scolaire de 1875 constitue une sorte de concordat scolaire, issu d’une
transaction conclue entre l’épiscopat, le gouvernement Boucherville et la
majorité conservatrice de l’Assemblée. L’histoire éducative du Québec dans le
dernier tiers du XIXe siècle montre bien, en fait, que cette mesure n’a pas
réglé de façon définitive la question des droits respectifs de l’Église et de
l’État dans le domaine de l’enseignement primaire. La décennie qui suit
l’adoption de la loi est marquée, au contraire, par des débats retentissants
axés sur ce problème vital 13. Ils atteignent une telle intensité que
Rome sera priée d’intervenir. Ces querelles éclairent l’historien(ne) sur
certains faits essentiels. Elle rendent compte, dans un premier temps, de la
tension profonde qui existe entre l’aile modérée et ‘'aile ultramontaine du
parti conservateur, tant sur le terrain scolaire que dans les autres secteurs
de l’administration publique. Les conservateurs de l’école de Cartier
acceptent mal le rôle de second ordre que Boucher de Boucherville a assigné à
l’État dans le domaine éducatif. L’un de leurs chefs, Joseph-Adolphe Chapleau,
prend le pouvoir en 1879. Or, de 1880 à 1882, ce dernier tente de faire adopter
une série de lois visant à réduire l’autorité du Conseil de l’Instruction
publique et des commissions scolaires au profit du surintendant Ouimet et des
inspecteurs d’écoles, le premier ayant déjà occupé le poste de ministre de
l’Instruction publique, les seconds étant des fonctionnaires employés par
l’État. Le premier ministre s’attaque même à certains privilèges du clergé. Un
projet de loi déposé en 1882 propose en effet de soumettre les écoles
indépendantes tenues par des religieux à l’inspection du Département de
l’Instruction publique et abroge le droit exclusif du curé de choisir les
manuels scolaires à caractère moral et religieux. Il y a lieu de s’étonner de
ces démarches du Cabinet Chapleau, effectuées quelques années après l’adoption
de la loi Boucherville et au moment même où, en France, la République est en
voie de transformer l’école primaire en un service public laïc contrôlé
exclusivement par l’État. Elles provoquent l’intervention de l’archevêque de
Québec, Mgr Taschereau, qui dirige alors l’aile modérée du clergé.
Dans un langage qui ne lui est guère habituel, le prélat n’hésite pas à prédire
l’avènement au Québec du «despotisme centralisateur» et d’un «Godless system» 14. Chapleau rétorque alors
que «la création du Conseil de l’Instruction publique n’a jamais été
interprétée comme devant substituer ce corps à la Législature, ni au
Gouvernement» 15. L’opposition de Mgr
Taschereau et la tempête que soulève le projet de loi dans le camp ultramontain
entraînent toutefois la défaite de Chapleau dans le domaine éducatif.
Les évêques s’étaient dressés unanimement contre la politique
scolaire du ministère Chapleau, laquelle mettait directement en péril les
privilèges acquis par l’Église avant comme après 1875. D’autres batailles
livrées autour de l’école primaire révèlent cependant que sur les questions
d’enseignement, l’Église du Québec ne forme pas toujours un corps monolithique.
Le groupe d’intransigeants dirigé par Mrg Laflèche rencontre en
effet une forte opposition lorsqu’il s’attaque tour à tour aux écoles normales
et au Bureau des commissaires d’écoles catholiques de Montréal, institutions
qui lui semblent favoriser injustement l’enseignement laïc au détriment de
l’enseignement congréganiste. On verra alors Mrg Laflèche s’engager
dans une dispute bruyante avec l’abbé H.-A. Verreau, principal de l’École
normale Jacques-Cartier et défenseur intrépide des instituteurs laïcs. On verra
aussi l’abbé Verreau et le président des commissaires, M. Rousselot, p.s.s.,
guerroyer avec les Frères des écoles chrétiennes, dont le Visiteur provincial,
le frère Réticius, contribuera largement à répandre la peur du laïcisme au sein
du clergé québécois.
Dans les deux cas, Mgr Taschereau prend position
contre la faction intransigeante. En décembre 1884, l’archevêque et Mgr Laflèche s’affrontent
directement au Comité catholique, alors que chacun propose un candidat
différent au poste de principal de l’École normale Laval. Les disciples de Mgr
Laflèche lancent alors une offensive majeure contre les cadres institutionnels
du système scolaire public. Cette offensive atteint son paroxysme dans Le
Journal des Trois-Rivières, qui est considéré comme l’organe officieux de
l’évêque. Dans un éditorial publié en février 1885 16, le Journal dénonce
avec véhémence la loi scolaire de 1875 qui, pourtant, a été accueillie avec
satisfaction par l’épiscopat. Il accuse aussi le surintendant de l’Instruction
publique, les officiers de son Département et certains membres laïcs du Comité
catholique d’être des partisans du laïcisme et de l’État enseignant. Cet
article aura l’effet d'une bombe dans les milieux politique et de l’éducation.
Résolu à mettre fin aux agissements de son collègue de Trois-Rivières, Mgr
Taschereau décide de recourir au Saint-Siège. Il écrit personnellement au
préfet de la Propagande, le cardinal Simeoni. L’archevêque défend alors le
système scolaire de la province et les lois qui le régissent. À vouloir chasser
absolument l’État de l'École, insiste-t-il, les catholiques intransigeants ne
réussiront à obtenir au Québec que ce qui s’est produit en Europe, «où c’est
l’État qui a chassé l’Église» 17. L’évêque de Chicoutimi, Mgr
Dominique Racine, écrit aussi dans le même sens au cardinal préfet. Il blâme
ouvertement la conduite «imprudente et exagérée» adoptée par Mgr
Laflèche relativement aux questions d’enseignement. Cette façon de procéder,
conclut-il, «nous mettra en conflit avec le gouvernement et achèvera de nous
faire perdre ce qui nous reste d’influence et d’autorité auprès de nos fidèles»
18. En 1885, Rome
donnera gain de cause à Mgr
Taschereau et à son collègue de Chicoutimi. Deux consulteurs de la
Propagande émettent alors l’opinion que la loi scolaire de 1875, loin d’être
incompatible avec les droits de l’Église, reproduit au contraire l’idée
catholique «avec une perfection qu’on n’est plus habitué à trouver même chez
les nations qui se disent catholiques» 19.
L’année suivante, dans une lettre adressée
au premier ministre du Québec, John J. Ross, Mgr Taschereau expose
clairement la position des évêques modérés sur la question des rapports
Église-État dans le domaine scolaire. Il précise que si le Syllabus 20 refuse à l’État
«le droit exclusif de diriger l’éducation», il ne faut pas conclure que ce
dernier doit se tenir complètement en dehors de l’École, Mgr
Taschereau s’en prend ensuite aux catholiques qui transposent en sol canadien
les problèmes de l’ancienne mère-patrie:
De ce que certains
États abusent de leur pouvoir et tyrannisent l’Église, la famille et la
jeunesse, en ce qui concerne l’éducation il ne s’ensuit nullement qu’il faille
nier à l’État tout droit dans l’École.
L’archevêque conclut que les lois scolaires du
Québec ne sont sans doute pas parfaites, mais que «le temps, l’expérience et la
bonne entente entre l’Église et l’État donnent lieu d’espérer qu’on pourra au
moins se rapprocher d’un idéal qu’on n’atteindra jamais » 21.
Ces dernières paroles de l’archevêque
indiquent que c’est surtout au niveau de l’agir que les clercs modérés se
distinguent de leurs collègues intransigeants. Si les premiers s’accordent
avec les seconds sur la thèse de la supériorité de l’Église sur l’État, ils
s’écartent de ces derniers sur les moyens à prendre pour rendre cette
supériorité effective. Voulant éviter l’éclatement d’un conflit
politico-religieux qui tournerait au désavantage de l’Église, ils refusent de
s’engager dans la voie des exigences dangereuses. « Nous sommes risqués à tout
perdre si nous allons trop loin», écrit ainsi Mgr Taschereau au
cardinal Simeoni en 1890 22. Le groupe des modérés applique en somme aux
questions scolaires la théorie de la thèse et de l’hypothèse, rendue célèbre
par l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, et qui a reçu l’approbation
du pape Léon XIII. Cette théorie opère une distinction entre la thèse,
c’est-à-dire la vérité de principe, et l’hypothèse, qui représente ce qu’on
peut réaliser dans les conditions du moment.
Concrètement parlant, l’essentiel, pour les
modérés, est de prévenir toute rupture de l’accord conclu en 1875 entre
l’Église et l’État. Or ce dernier ne sera plus sérieusement remis en question
après le départ de Chapleau en 1882. Les ultramontains ayant accentué leur
emprise au sein du parti conservateur, les successeurs de Chapleau, J.-A.
Mousseau et John J. Ross, respectent l’esprit de la loi Boucherville. Le
passage au pouvoir d’Honoré Mercier, entre 1887 et 1891, n’entraîne par
ailleurs aucune modification du régime scolaire institué par les conservateurs.
En tant que chef de l’opposition libérale, Mercier s’est prononcé, certes, pour
une intervention vigoureuse de l’État dans le secteur éducatif. Il â multiplié
aussi les déclarations en faveur de la gratuité scolaire et de l’instruction
obligatoire, deux réformes qui sont fermement repoussées à l’époque par
l’Église du Québec, puisqu’elles lui apparaissent comme le prélude à la
création d’un système scolaire laïc dirigé par l’État. Devenu premier ministre,
Mercier renonce pourtant à ses anciennes prises de position audacieuses, car il
lui faut ménager l’appui des ultramontains qu’il a regroupés au sein du parti
national dont il est le chef.
Enfin, le peu d’intérêt que manifestent la
plupart des dirigeants politiques québécois pour l’école primaire dans le
dernier tiers du XIXe siècle contribue à maintenir le statu quo. Les
administrations qui se succèdent à partir de 1875 ne conçoivent pas de
véritable politique scolaire axée sur le développement de l’enseignement
primaire. L’insuffisance des crédits affectés au soutien des écoles publiques
sera également dénoncée à l’époque par le surintendant de l’Instruction
publique. Invoquant la conjoncture économique défavorable et l’état déplorable
des finances provinciales (qui sont alors engagées largement dans un programme
coûteux d’expansion ferroviaire), les hommes politiques, qu’ils soient
conservateurs, libéraux ou nationaux, prêchent en fait l’économie et le
retranchement lorsqu’il s’agit d’instruction publique. C’est ainsi que
l’enseignement à bon marché devient au cours de cette période un slogan fort
populaire auprès des hommes publics.
Or cette stratégie procure à maintes
reprises des alliés influents aux clercs intransigeants. En 1879, par exemple,
le gouvernement libéral d’Henri Joly vient près de donner gain de cause à Mgr
Laflèche lorsqu’il propose de réduire le coût de l’inspection scolaire en
confiant cette charge aux curés, idée qui est alors défendue par l’évêque de
Trois-Rivières. La chute du ministère Joly empêchera la réalisation de ce
projet, auquel s’opposait Mgr Taschereau, la fonction d’inspecteur
lui apparaissant incompatible avec le ministère paroissial. Quelques années
plus tard, on verra le Conseil municipal de Montréal soutenir la campagne
menée par les Frères des écoles chrétiennes contre le Bureau des commissaires.
Craignant de soulever le mécontentement populaire, le maire et les échevins
s’objectaient, en effet, à l’augmentation lie la taxe scolaire réclamée par les
commissaires. Ces derniers soutinrent alors habilement qu’une économie
considérable seraient réalisée si le Bureau des commissaires employait un plus
grand nombre de religieux dans les écoles de la métropole.
Enfin, le projet d’abolition des écoles
normales conçu par Mgr Laflèche au début des années 1880 sera
accueilli favorablement par plusieurs chefs de gouvernement qui, dans le but de
récupérer les subventions qui leur étaient allouées, songeaient à supprimer ces
institutions et à confier la formation des maîtres à des communautés
religieuses, tel que le souhaitait l’évêque de Trois-Rivières. Mercier, entre
autres, aurait voulu consacrer ces octrois au règlement de l’épineuse question
des biens des Jésuites. À chaque occasion, cependant, l’aile modérée de
l’épiscopat et la majorité des membres du Comité catholique se prononcèrent
pour le maintien des Écoles normales Laval et Jacques-Cartier.
Ces diverses alliances qui se nouent entre
clercs et laïcs, de même que les dissensions au sein du clergé que nous avons
évoquées plus haut, montrent bien qu’on ne saurait interpréter les querelles
scolaires de la fin du XIXe siècle comme un affrontement tranché entre l’Église
et l’État. Il est clair, d’autre part, que l’offensive lancée par Mgr
Laflèche et ses disciples contre le système scolaire public s’est soldée par
un échec. Les écoles normales et le service d’inspection scolaire sont
maintenus, le Bureau des commissaires emploie toujours des maîtres laïcs pour
ses écoles, enfin, évêques et laïcs continuent de siéger ensemble au Comité
catholique. La position des évêques modérés l’emporte donc. Celle-ci apparaît
clairement dans la lettre pastorale collective sur l’éducation que publient, en
1894, les archevêques et évêques des provinces ecclésiastiques de Québec, de
Montréal et d’Ottawa. Cette lettre longue d'une cinquantaine de pages, rédigée
par le successeur du cardinal Taschereau, Mgr Bégin, proclame
d’abord la volonté bien arrêtée des évêques de conserver «dans toute leur
intégrité» les prérogatives de l’Église dans le secteur éducatif. Mais il
reconnaît aussi à l’État le droit d’ouvrir et de financer des écoles, sur
lesquelles l’Église doit cependant exercer une surveillance attentive afin
d’en proscrire tout enseignement qui serait contraire à la doctrine catholique 23. Les évêques se
déclarent satisfaits, par ailleurs, de l’organisation scolaire au Québec. C’est
pour l’Église, écrivent-ils, une «joie légitime» de voir fonctionner un système
d’éducation qui, sans être absolument parfait, repose toutefois sur «une
entente cordiale entre l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique» et
accorde à cette dernière, dans l’approbation des maîtres et des méthodes, «une
part d’influence propre à sauvegarder les intérêts sacrés de la famille, de la
conscience et de la foi» 24. Les évêques proclament ensuite l’importance
de l’enseignement primaire, qui doit être dispensé à tous les enfants, «parce
que tous à quelque état de leur vie... peuvent avoir besoin, surtout dans les
conditions économiques de l’âge moderne, des premiers éléments des
connaissances humaines» 25. Enfin, dans une section intitulée «L’Église
amie du vrai progrès», l’épiscopat québécois affirme que cette dernière désire
le progrès «non seulement dans les sciences et les lettres, mais encore dans
l’industrie, le commerce, l’agriculture, et tout ce qui peut améliorer le sort
de l’homme». Aussi voit-elle d’un «oeil favorable» la création d’écoles
spéciales «destinées à promouvoir nos intérêts matériels», pourvu que ces
fondations ne portent pas préjudice aux études classiques que l’Église
considère comme essentielles 26.
Cette profession de foi vient à point.
Depuis quelques années, l’idée d’une réforme de l’enseignement circule en effet
dans la province. L’élan a été donné par les libéraux radicaux, qui prolongent
une tradition démocratique et anticléricale prenant racine dans le Rougisme du
milieu du XIXe siècle. À la fin du siècle, les radicaux se regroupent
surtout à Montréal, où un bon nombre fréquentent la loge maçonnique
L’Émancipation, affiliée au Grand-Orient de France. La loge est d’abord dirigée
par Honoré Beaugrand, puis par Godfroy Langlois, qui succède également à
Beaugrand comme directeur de La Patrie, grande doyenne de la presse
libérale à Montréal. Grâce à La Patrie et à d’autres journaux au
tirage plus limité, les radicaux sont en mesure de porter le débat devant
l’opinion publique. Partisans de l’enseignement technique et commercial, il font
le procès des collèges classiques, qu’ils accusent d’être mal adaptés aux
besoins d’une société entrée dans l’ère industrielle. Afin de restreindre
l’accession des clercs à la carrière enseignante, ils réclament aussi le brevet
de capacité obligatoire pour les enseignants religieux. S’inspirant de l’oeuvre
scolaire de la IIIe République, les radicaux revendiquent enfin des
réformes destinées à transformer l’école primaire en un service public
accessible à tous les enfants, à savoir l’instruction gratuite et obligatoire,
l’uniformité des manuels scolaires et surtout, le rétablissement du Ministère
de l'Instruction publique, première étape vers la laïcisation complète de
l’enseignement.
Or la campagne menée par la gauche libérale
en faveur de la réforme scolaire finit, malgré tout, par atteindre les milieux
conservteurs. La presse «bleue» de Montréal se met à dénoncer les carences du
système éducatif québécois, tant au niveau des programmes d’études que de la
qualité de l’enseignement. Des ultramontains même, jugent sage de prendre les
devants et de suggérer certaines améliorations. C’est ainsi qu’en 1892,
l’ancien lieutenant-gouverneur de la province, Rodrigue Masson, va jusqu’à
proposer au Comité catholique d’imposer le brevet de capacité aux enseignants
religieux. On ne saurait sous-estimer l’importance de ce geste. Il est
symptomatique du mouvement d’opinion qui se développe en faveur d’un
enseignement primaire amélioré, mouvement qui met implicitement en cause
l’action respective menée par l’Église et l’État dans le domaine éducatif.
Cette évolution n’échappe pas à l'attention des évêques modérés. En 1893,
l’évêque de Sherbrooke, Mgr Antoine Racine, écrit à Mgr
Begin, alors évêque coadjuteur de Québec:
Une chose qu’il ne
faut pas perdre de vue, c’est que les évêques doivent, autant que se peut, être
en union d'esprit avec leurs fidèles, diriger le mouvement selon les vues de
l’Église; ils ne doivent pas craindre, lorsque les circonstances l’exigent, non
pas d’abandonner leurs droits, mais de changer et de renouveler leurs
programmes; sinon ils s’exposent à de tristes et désagréables surprises.27
Mgr Bégin partage entièrement les
vues de son collègue. Afin de donner satisfaction à Rodrigue Masson et de
mettre l’enseignement congréganiste à l’abri des critiques qui risquent de
s’intensifier, Bégin propose la création de bureaux d’examinateurs épiscopaux,
grâce auxquels l’Église conservera le privilège de juger elle-même de la capacité
des enseignants religieux. Ce projet reçoit l’approbation du Saint-Siège. Le
préfet de la Propagande, le cardinal Ledôchowski, estime, en effet, qu’une
telle mesure, «outre qu’elle pourrait avoir l’heureux résultat de prévenir une
loi spéciale de l’État, serait par elle-même utile pour donner une plus grande
perfection aux écoles catholiques» 28. L’opposition
unanime des évêques au Comité catholique ayant amené Rodrigue Masson à retirer
sa désormais célèbre proposition, Mgr Bégin n’aura pas à mener son
projet à terme. L’initiative qu’il a prise exprimait néanmoins son désir de
répondre positivement au mouvement de réforme scolaire, plutôt que d’y résister
aveuglément.
De leur côté, les dirigeants politiques
conservateurs en viennent aussi à adopter cette attitude. En 1896, à la veille
des élections provinciales, le gouvernement d’Edmund Flynn s’engage
formellement à soutenir «la noble cause» de l’éducation, qu'il considère comme
«le plus grand bienfait dont un gouvernement puisse doter un peuple» 29. Le premier
ministre fait alors adopter une loi créant un fonds spécial annuel de 50 000 $
destiné à répandre l’instruction chez les classes populaires et à relever les
traitements des enseignants. Cette mesure marque une rupture importante avec
la politique de parcimonie poursuivie par les gouvernements précédents. Elle
fait aussi appel à une intervention directe de l’État, les nouveaux octrois
devant être distribués sous la direction exclusive du gouvernement.
L'administration Flynn ne sera toutefois
pas en mesure d’exécuter sa politique scolaire. En mai 1897, les libéraux
québécois dirigés par Félix-Gabriel Marchand prennent le pouvoir, victoire qui
vient compléter celle remportée par leurs homologues fédéraux en 1896. Ancien
commissaire d’école, Marchand s’est engagé, au cours de la campagne électorale,
à relever le niveau de l’enseignement primaire, dont il a jadis observé les
lacunes. Au mois de novembre, à l’ouverture de la session provinciale, le
cabinet annonce la présentation d’un projet de loi visant à rétablir le
Ministère de l’Instruction publique, aboli en 1875. Le discours du trône
précise que le gouvernement actuel, «pénétré du sentiment de sa responsabilité
dans tout ce qui tend au bien-être et au progrès de la Province... ne saurait
se désintéresser de la question si importante de l’enseignement» 30. La réforme
proposée par la nouvelle administration libérale montre bien que l’entente
conclue en 1875 entre l’Église et l’État s’appuie sur une conquête législative
qui se trouve forcément à la merci d’un changement de régime politique. Elle
révèle aussi l’influence qu’exercent sur le gouvernement les libéraux radicaux,
qui revendiquent depuis un bon moment la création d’un Ministère de
l’Instruction publique.
Le projet de loi rencontre toutefois
l’opposition des évêques, modérés et intransigeants. Le projet maintient, il
est vrai, les deux Comités du Conseil de l’Instruction publique, qui
conserveront, assure le gouvernement, toute leur autorité. Mais cela
n’amoindrit pas la signification essentielle du projet, à savoir la rupture de
l’accord négocié en 1875 et l’intervention du pouvoir politique dans
l’enseignement. Les évêques québécois, que la question scolaire manitobaine a
déjà dressée contre Wilfrid Laurier et les libéraux fédéraux, s’entendent de
nouveau pour combattre les libéraux provinciaux sur la question du Ministère de
l’Instruction publique. C’est le nouvel archevêque de Montréal, Mgr
Bruchési, qui dirigera cette fois l’offensive épiscopale. Dans une lettre au
cardinal Rampolla, secrétaire d’État au Vatican, le prélat exposera les motifs
qui contraignaient les évêques à s’opposer au projet de loi:
Il est évident que
l’influence de l'épiscopat en sera diminuée sur le champ, du moins bientôt. Un
ministre de l’Instruction publique, mais c’est l’introduction de la politique
dans tout-ce-qui se rapporte à l’éducation. Les choses ne sauraient se passer
au Canada autrement que dans les autres pays du monde. 31
Nous n’avons pas à rappeler ici les étapes bien
connues du conflit politico-religieux déclenché par le projet de rétablissement
du Ministère de l’Instruction publique 32. Celui-ci se
solde, on le sait, par la victoire de Mgr Bruchési, qui a même
demandé au Saint-Siège d’intervenir dans la querelle. Deux faits méritent
pourtant d’être soulignés. Le rejet du projet de loi par le Conseil législatif,
où les conservateurs ultramontains exercent une influence prépondérante, met
d’abord en relief le rôle crucial joué par cet organisme dans la protection des
privilèges de l’Église dans le secteur éducatif. Depuis l’adoption de la loi de
1875, l’épiscopat avait pu compter sur la Chambre haute pour faire échec à
toute mesure impliquant un renforcement de l’autorité étatique dans le domaine
de l’enseignement. À l’instar du Comité catholique, le Conseil législatif
constituait donc, à la fin du XIXe siècle, un rempart solide du
pouvoir clérical en matière scolaire.
Il faut insister, d’autre part, sur
l’intervention décisive de Wilfrid Laurier, qui donne le coup de grâce au
projet de création d’un Ministère de l’Instruction publique. Le premier
ministre canadien veut éviter à tout prix une guerre ouverte entre le clergé et
les libéraux qui risquerait de compromettre l’avenir du parti au Québec et
menacerait, à court terme, ses chances de réaliser avec l’épiscopat un accord
définitif au sujet des écoles manitobaines. Laurier presse donc Marchand de
renoncer à l’objectif principal de sa politique éducative. Aussi, lorsque ce
dernier dépose en 1899 un nouveau projet de loi scolaire, il n’est plus
question d’un Ministère de l’Instruction publique. Deux clauses renforcent
toutefois les pouvoirs de l’État: la première réserve au cabinet la nomination
des inspecteurs d’écoles, sans la recommandation du Conseil de l’Instruction
publique; la seconde autorise le gouvernement à distribuer gratuitement les
manuels scolaires, disposition qui peut conduire à l’uniformité des livres et
à la création d’un monopole contrôlé par l’État. Cependant, l’Église ne pose
pas d’obstacle à l’adoption du projet qui reçoit, par le fait même, la sanction
du Conseil législatif. Un compromis a été réalisé entre les libéraux et
l’épiscopat, ce dernier consentant certaines concessions sur des questions
secondaires, pourvu que soient maintenus les points essentiels de l’entente
conclue en 1875.
Cette attitude conciliatrice a d’ailleurs
été prescrite par Léon XIII dans l’encyclique Affari Vos sur la question
scolaire manitobaine, promulguée en décembre 1897. Les directives du Pape
pouvaient s’appliquer facilement au contexte québécois. Le cardinal Rampolla,
qui était le collaborateur intime du Saint-Père, l’avait signalé au premier
ministre Marchand quelques jours après la publication de l'encyclique 33. Le Saint-Père
recommandait en effet aux évêques de ne jamais perdre de vue les règles de la
modération et de la douceur, ni de refuser les satisfactions partielles 34. Il leur demandait
aussi de favoriser le progrès de l’éducation afin que les écoles catholiques
«puissent rivaliser avec les plus florissantes, par la bonté des méthodes de
formation et par l’éclat de l’enseignement» 35 Enfin, le Pape
trouvait légitime l’intérêt que manifestaient les gouvernements provinciaux,
pour la cause de l’instruction publique:
Au point de vue de
la culture intellectuelle et du progrès de la civilisation, on ne peut que
trouver beau et noble le dessein conçu par les provinces canadiennes de
développer l’instruction publique et d’en élever de plus en plus le niveau...36
Le Saint-Siège faisait appel, indubitablement,
à une amélioraton des rapports entre l’autorité civile et l’autorité
religieuse. Ce rapprochement voulu par Rome ne pouvait toutefois s’effectuer
si les libéraux québécois brandissaient le spectre de l’État enseignant. Mais
le gouvernement Marchand ayant renoncé à l’idée d’établir un Ministère de
l'Instruction publique, la modération prescrite par Affari Vos l’emporte
au sein de l’épiscopat. Sous la direction de Wilfrid Laurier d’une part, et de
Léon XIII de l’autre, les hommes politiques libéraux et les chefs
ecclésiastiques jettent ainsi en 1899 les bases d’un modus vivendi qui
dictera les rapports Église-État dans le domaine de l’enseignement primaire au
début du XXe siècle. D’un côté, les premiers tenteront d’avancer des
pions sur l’échiquier scolaire tout en mettant en veilleuse les principales
réformes revendiquées par les libéraux radicaux. Quant à l’épiscopat, il
demeurera ferme sur les principes, mais ne dédaignera pas les mesures de
compromis, en autant qu’elles conservent à l’Église la position privilégiée
qu’elle a acquise dans la direction du système scolaire public. Chaque partie
aura le souci d’éviter un conflit majeur et cette volonté se traduira dans les
faits par une politique à la fois souple et subtile.
Ruby HEAP
Département d’histoire
Université de Montréal
1Mgr
Lartigue à Mgr Turgeon, 28 mars 1836. Archives de l’archevêché de
Québec (AAQ), Diocèse de Montréal, 6:140, dans Michel Brunet, Notre passé,
le présent et nous, Montréal, 1976, p. 79.
2Journal de l’Instruction publique, 1868, p. 23.
3Louis-Philippe
Audet, «P.-J.-O. Chauveau, ministre de l’Instruction publique, 1867-1873», Mémoires
de la Société royale du Canada (MRSC ), 4e série, 5 (juin 1967), pp.
171-85.
P.-J.-O. Chauveau à L.-H. Huot, 4 mars 1874, Archives
du Séminaire de Québec (ASQ), manuscrits non classifiés, dans Keith D. Hume,
«The Ministry of Public Instruction in Quebec, 1867-1875: an Historical Study»,
thèse de Ph.D., McGill University, 1964, p. 76.
5P.
Chauveau, L’Instruction publique au Canada, Québec, 1876, p. 100.
Voir K. Hume, « The Ministry of Public Instruction»,
pp. 172-210.
7Le
Journal des Trois-Rivières, 18 août
1873.
8Jean-Louis
Roy, compilateur, Les programmes électoraux du Québec, Ottawa, 1970, t.
1, p. 16.
9L.-P.
Audet, «Le premier ministère de l’Instruction publique au Québec», Revue
d’histoire de l Amérique française, 12 (septembre 1968), p. 221.
10Mgr
Laflèche à Mgr Taschereau, ler mars 1875, Archives de l’évêché de
Trois-Rivières (AETR), Registre des lettres, 6, 6/75-1-111, 1875.
11L.-P.
Audet, Histoire du Conseil de l’Instruction publique, Montréal, 1964,
pp. 85-6.
12Mgr
Bourget à Mgr Taschereau, 16 novembre 1875, AAQ, Correspondance avec
l’évêque de Montréal, 12:28, dans ibid., pp. 90-2.
13J’ai
examiné l’évolution et la substance de ces débats dans ma thèse de maîtrise,
«L’Église, l’État et l’éducation au Québec, 1875-1898», Montréal, McGill
University, 1979, chapitre 2, pp. 111-257.
14Mgr Taschereau
à Chapleau, 12 mai 1882, Archives du Séminaire de TroisRivières (ASTR),
Papiers Pierre Boucher de La Bruère, dossier 54, document J1-51.
15Chapleau à Mgr
Taschereau, 12 mai 1882, ibid.
16Voir « La Lumière
se fait», Le Journal des Trois-Rivières, 5 février 1885.
17Mgr
Taschereau au cardinal Siméoni, 5 mars 1885, AAQ, Registre des lettres,
34, no. 968.
18Mgr
Racine à idem, 7 mars 1885, ASQ, Université 28, no. 94.
19«Mémoire du R.P.
Saccheri, O.P., et de Mgr Salvatore Talamo, sur l’orthodoxie de nos
lois d’éducation», 13 juin et 2 juillet 1885, AAQ, Corresponsance manuscrite
de Rome, VII-203.
20Il s’agit du Syllabus
errorum, publié en 1864 par le pape Pie IX.
21Cette lettre, datée
du 14 septembre 1886, fut publiée dans L’Enseignement primaire, 16 octobre
1886, pp. 197-9.
22Mgr
Taschereau au cardinal Simeoni, 31 juillet 1890, AAQ, Registre des lettres, 36,
no. 973.
Lettre pastorale de
Nos Seigneurs les archevêques et évêques des provinces ecclésiastiques de
Québec, de Montréal et d’Ottawa sur l’éducation, Québec, 1894, pp. 32-3.
24Ibid., pp. 33-4.
Ibid., p. 44.
Ibid. , pp. 48-9.
27Mgr
Racine à Mgr Bégin, 8 mai 1893, AAQ, Gouvernement du Québec, 111-43.
28Cardinal
Ledéchowski à idem, 4 mai 1894, AAQ, Correspondance manuscrite de Rome,
XI-8.
29Edmund James Flynn,
Le gouvernement devant l’opinion: discours-programme prononcé le 6
septembre 1896 à Saint-Jean-Port-Joli, Québec, 1897, dans J.-L. Roy, comp.,
Les programmes électoraux, t. 1, p. 95.
30Journaux de
‘Assemblée législative de la province de Québec, 32 (1897-1898), séance du 23
novembre 1897, pp. 23-4.
31Mgr
Bruchési au cardinal Rampolla, 17 décembre 1897, AAQ, Question scolaire du
Manitoba, IV-26.
32Louis-Philippe
Audet a retracé ces étapes dans son article « Le projet du ministère de
l’Instruction publique en 1897 », MSRC, 4e série, 1 (juin 1963), pp. 133-61.
33Cardinal Rampolla à
MGR Bruchési, 15 décembre 1897, dans Marcel Hamelin, éditeur, Les
mémoires du sénateur Raoul Dandurand (1861-1942 ), Québec, 1967, p. 97.
34«Lettre encyclique
de NTSP Léon XIII aux archevêques et évêques et aux autres ordinaires de la
Confédération canadienne», 8 décembre 1897, dans Lettres apostoliques de
Léon XIII, Paris, s.d., p. 123.
35Ibid., p. 125.
36Ibid.